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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille
Autoren: James Welch
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émerveillés de voir la voiture rouler toute seule. Cela se passait dix ou onze lunes plus tôt, mais il continuait à s’extasier devant ce miracle. Il sourit à un homme qui le regardait comme s’il le connaissait. En fait, l’inconnu devait simplement avoir remarqué ses longs cheveux qui s’échappaient de sa casquette de laine, ses pommettes saillantes et ses yeux en amande. Il y avait des affiches à travers toute la ville.
    Charging Elk ne put retenir un sursaut à la vue de ce tableau si familier : la piste de terre battue entourée des gradins sous le chapiteau dont les sommets évoquaient de loin une chaîne de montagnes enneigées ; le paysage peint sur la toile de fond bordant la piste ; les lumières sur les poteaux qui illuminaient les lieux comme en plein jour ; et le bourdonnement des petits générateurs. Jusqu’à la cabane des pionniers qui, dans un coin, ressemblait exactement à celle qu’il avait connue. Sans parler du tipi dans le coin opposé avec ses râteliers à viande séchée et le petit feu qui flambait devant ! Et une Indienne qui, son bébé sur le dos, remuait le contenu d’une marmite accrochée sur un trépied au-dessus des flammes. Les pensées de Charging Elk se reportèrent à l’époque heureuse où, enfant, il vivait sur les prairies à bisons avec la bande de Crazy Horse. Avec son père, sa mère, son frère et sa sœur. Avec son peuple dans un village de tipis pareil à celui-là. À jouer en compagnie de ses camarades, à manger de la vraie viande, à écouter les histoires des anciens. Les lumières se mirent à scintiller et, quand il les regarda, il ne vit plus qu’un faisceau de rayons argentés. Il comprit alors qu’il avait les yeux pleins de larmes.
    À cet instant retentit l’air qu’il avait entendu des centaines de fois, et la toile de fond s’écarta pour livrer passage aux membres du Cowboy Band montés sur leurs chevaux blancs. Annonçant le début du spectacle, cette musique lui avait toujours fait battre le cœur.
    La sonnerie aiguë d’un clairon éclata soudain, et un cavalier en selle sur un grand cheval blanc déboucha au galop sur la piste dont il fit le tour à toute allure avant de s’arrêter net devant la tribune principale. Le cheval salua et le cavalier ôta son chapeau qu’il agita en l’air. La gorge de Charging Elk se serra tandis qu’il contemplait la silhouette familière de Pahuska avec ses longs cheveux maintenant d’une blancheur de neige qui commençaient à s’éclaircir sur le dessus, sa barbiche et sa moustache blanches, sa chemise de daim à franges décorée de perles et ses grandes bottes. Son visage, aux traits naguère finement ciselés, était à présent buriné et émacié, mais Pahuska tenait la tête haute cependant qu’il trottait de long en large devant le public qui criait et applaudissait.
    Après quoi, la musique changea. On entendit un roulement de tambour, et les cuivres jouèrent la mélodie d’un chant lakota que Charging Elk connaissait bien. Le portail s’ouvrit et les Indiens entrèrent en piste les uns derrière les autres pour se déployer ensuite sur trois rangées et s’avancer dans le même mouvement. Nombre d’entre eux avaient étalé la traîne de leurs coiffes de plumes d’aigle sur la croupe de leurs chevaux. Certains portaient des lances et des bâtons-à-compter-les-coups ornés de plumes, d’autres des fusils et des arcs. Quelques-uns des jeunes gens étaient torse nu en dépit de la fraîcheur. Ils avaient des jambières, des plumes dans les cheveux, le visage peint et des bracelets de cuivre autour des biceps.
    Charging Elk était en proie à une violente émotion. C’était un spectacle qu’il n’aurait jamais cru revoir, et il s’identifiait presque à ces jeunes gens. Combien de fois n’avait-il pas effectué comme eux son entrée ? Il savait quelle fierté ils éprouvaient cependant qu’ils s’avançaient au trot, le visage impassible qui masquait leur excitation à l’idée de se produire devant un large public. Il savait aussi qu’ils chercheraient du regard une jolie femme parmi la foule afin de faire leur numéro pour elle, même si elle ne devait jamais s’en apercevoir. Il s’imaginait sentir entre ses jambes la chaleur de leurs mustangs.
    Une pensée lui vint alors à l’esprit, qu’il était étonné de ne pas avoir eue avant : en effet, cela faisait exactement seize hivers, moins une lune, que, malade, il était tombé de cheval à cet
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