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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille
Autoren: James Welch
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rêve amena une autre pensée : la plupart des Indiens qu’il venait de voir étaient des Lakotas – Oglalas, Hunkpapas ou Brûlés – et ils étaient vivants. Donc, son rêve ne reflétait pas la réalité.
    Depuis la première fois où il avait fait ce rêve, il n’avait plus vraiment envisagé de retourner chez lui, parce qu’il croyait ne plus y trouver personne. Dans son cauchemar, il avait vu les corps sans vie des siens gisant sur les rochers au pied de la falaise. Et les mots qu’il avait entendus au milieu des hurlements du vent – Tu es mon seul fils – voulaient dire autre chose, mais quoi ? Il se rendait compte à présent que son isolement avait été plus total qu’il ne se l’était figuré. S’il avait été au Bastion, Bird Tail, le vieux wicasa wakan, l’aurait écouté et, après avoir fumé un moment, lui aurait expliqué ce que son rêve signifiait. Et surtout – la pensée le frappa comme un éclair – Wakan Tanka n’était pas ici et ne l’avait jamais été ! C’était toujours en vain qu’il avait prié le Grand Mystère. Il aurait pu tout aussi bien s’adresser à une pierre ou à la montre logée dans son gousset.
    Charging Elk, plongé dans ses sombres réflexions, n’avait pas remarqué que les gradins s’étaient vidés et qu’il ne restait plus que quelques traînards et lui. Ce qu’il venait de comprendre, aussi terrible que cela fût, lui laissait malgré tout un goût d’espoir teinté d’amertume.
    Il paya 50 centimes le droit de visiter les attractions. Il voulait donner le temps aux Indiens de s’occuper des chevaux, d’enfiler des vêtements plus chauds, de s’installer pour fumer ou jouer aux cartes. Il savait combien ces représentations quotidiennes pouvaient être épuisantes. Il savait aussi qu’en cas de blessure – une cheville qu’on se foulait en sautant de cheval, un dos qu’on s’abîmait ou une côte qu’on se cassait en tombant –, il fallait des jours ou parfois des semaines pour guérir. Mais comme ils étaient fiers, les jeunes continuaient malgré tout à se produire. Lui-même était entré en piste alors qu’il parvenait tout juste à se tenir en selle à cause de la grippe, et tous ses malheurs étaient partis de là. Il aurait pu se reposer ce soir-là, ou même pendant deux ou trois jours, mais l’orgueil l’avait emporté sur la raison. Et voilà où cela l’avait mené !
    Charging Elk erra au milieu des baraques. Les bonimenteurs invitaient la foule à entrer dans les stands, à voir les phénomènes. Sur une petite scène, une contorsionniste marchait sur les mains, les jambes nouées derrière la nuque. Un peu plus loin, un géant en maillot de corps et collant blancs tenait dans ses mains une femme minuscule au joli visage rond encadré de boucles auburn vêtue d’un haut et d’un tutu à paillettes. Un hercule ne portant qu’une culotte les observait, frissonnant dans le froid de la nuit de novembre. Il avait le crâne rasé et le corps tout bleu. Charging Elk les regardait, mais ne les voyait pas. Les images se succédaient dans sa tête, les Indiens de la troupe, son pays, le Bastion, les nuits solitaires à déambuler dans Marseille, Marie et Breteuil, les années de prison. Il avait toujours été un étranger ici, et il avait payé le prix de son ignorance. Et maintenant encore, il marchait à l’écart de la foule, aussi seul qu’il l’avait toujours été.
    Arrivé au bout de l’allée, il franchit le portail et se roula une cigarette. Au loin, la silhouette de Notre-Dame-de-la-Garde se découpait, perchée au sommet de la colline escarpée, illuminée par des projecteurs électriques.
    Charging Elk s’arrêta devant la première tente éclairée.
    « Je vous salue mes parents ! cria-t-il en lakota. Je suis Charging Elk et je suis venu vous parler ! »
    Un instant plus tard, un visage apparut par l’ouverture.
    « Je suis lakota. Oglala. Mais je suis parti depuis longtemps », reprit Charging Elk.
    Le visage était celui d’un jeune homme. Il examina un bon moment Charging Elk, puis demanda : « Qu’est-ce que vous voulez ? »
    Il avait parlé en anglais, et Charging Elk en demeura abasourdi. « Vous êtes lakota ? »
    Le jeune homme lui lança un regard dénué de toute expression.
    « Lakota ? »
    Il sortit de la tente. Il était presque aussi grand que Charging Elk, mais plus mince. Il désigna un groupe de tipis de l’autre côté du cercle. « Lakotas », dit-il
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