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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer
Autoren: Gilbert Sinoué
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Venezuela, le Mexique, les plateaux du Sud-Ouest africain, le Tanganyika, le Kenya, la Rhodésie du Nord, le Nyasaland [4]  ! Personne n’avait encore songé à la Lune.
    Les traits de Dan se crispèrent. Un lépreux, voilà ce qu’il était. Lui et les siens. Des rebuts. La lie de l’univers. La boue des cuves.
    Où aller ?
    « À quoi rêves-tu, mon Dan ? »
    La voix de sa femme le fit sursauter.
    Il ne répondit pas tout de suite. Il prit une cigarette, l’alluma, tandis que Ruth se glissait près de lui.
    « Tu es inquiet, n’est-ce pas ? »
    Il continua de garder le silence, puis annonça soudainement :
    « Nous ne sommes plus chez nous. Nous devons quitter l’Allemagne. »
    Elle médita un instant avant de demander :
    « Et nos petits-enfants ? Et notre fille, Judith ?
    — Je convaincrai son mari.
    — Il ne voudra pas. Tu sais combien il est attaché à… »
    Le médecin frappa du plat de la main sur la table.
    « Je le convaincrai ! »
    Ruth inclina doucement le visage. Une immense lassitude avait envahi son regard.
    « C’est bien. Et où irons-nous ?
    — Je songe à l’Amérique. Là-bas nous serons en sécurité. Et puis à New York, il y a Max. Il nous accueillera.
    — L’Amérique ? Mais tu sais parfaitement que les quotas d’immigration ont été réduits à une peau de chagrin. Et crois-tu que Max se souvienne encore de toi ? Ça doit faire au moins dix ans que tu ne l’as pas vu, que vous ne vous êtes pas écrit. Et, si ma mémoire est bonne, vous n’avez jamais été vraiment très liés. »
    Dan prit les mains de sa femme et les emprisonna dans les siennes.
    « Tu ne comprends pas, Ruth. Tu me parles de divergences familiales et moi je te parle de vie et de mort. Je n’imagine pas une seconde que Max rechignera à nous ouvrir les bras lorsque je lui expliquerai la situation. »
    Elle détourna le visage pour ne pas montrer qu’elle pleurait.
    « Partir, murmura-t-elle la voix brisée. Partir… Tout abandonner ? »
    Il répliqua :
    « Ruth, voilà deux mille ans que nous sommes en partance. Une errance de plus ou de moins… Qu’est-ce que cela change ? »
    Ruth se tut pendant quelques instants, puis :
    « Et crois-tu qu’ils nous laisseront librement nous en aller ? Tu sais mieux que moi que les visas de sortie nous sont interdits. Voudrais-tu faire comme certains de nos frères ? Franchir une frontière au mépris de notre vie, violer les lois pour nous faire jeter en prison, en Suisse ou ailleurs ?
    — Je trouverai une solution. N’importe laquelle ! Nous partirons à pied, en rampant, à genoux. Je supplierai s’il le faut. »
    Un petit rire fusa d’entre les lèvres de Ruth.
    « Toi ? Toi, tu supplieras ? Fier comme tu es ? Digne comme tu es ? »
    Dan plongea ses yeux dans ceux de son épouse.
    « Aujourd’hui, ma Ruth, la dignité consiste à rester vivant. »
    Il ajouta très vite :
    « Je trouverai la solution. Ce soir. Demain. Je la trouverai ! »

2
    Ce ne fut pas Dan Singer qui trouva cette solution, mais les autorités nazies.
    Début avril, au cours d’un déjeuner de travail réunissant Goebbels, Heydrich et Goering dans un salon privé de l’hôtel Adlon, à Berlin, il fut décidé – avec la bénédiction du Führer – d’autoriser les Juifs à quitter librement le territoire allemand. En échange de quoi leurs biens seraient naturellement confisqués, ainsi que tous leurs avoirs bancaires. De même, ils s’affranchiraient d’une taxe à hauteur de la « générosité » dont le III e  Reich faisait preuve à leur égard, payable de préférence en devises étrangères. Au cours de ce même déjeuner, le Dr Goebbels indiqua qu’un premier bateau transportant un millier de passagers prendrait bientôt la mer. Il aurait un double emploi. D’une part, il présenterait au monde la preuve que l’Allemagne ne s’opposait nullement au départ des Juifs, qu’elle ne leur voulait aucun mal ; de l’autre, ce navire – le Saint-Louis  – serait utilisé (ce n’était pas la première fois) pour accomplir une mission d’espionnage sous la houlette de l’ Abwehr [5] . En réalité – mais seuls les murs du salon privé de l’hôtel Adlon l’avaient entendu – cette décision n’était que provisoire et en cachait une autre : bientôt, on trouverait une vraie solution au problème juif. Définitive.
    « Mais je ne vois pas très bien où est notre intérêt dans cette
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