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Stefan Zweig

Stefan Zweig

Titel: Stefan Zweig
Autoren: Dominique Bona
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une barbarie d’un autre âge, ghettos, pogroms et chasses aux Juifs, Vienne leur a garanti l’égalité des droits, la sécurité et la liberté, cadeaux inestimables. Alors que de Kazan, de Toula, de Kabrga, de Novgorod, du Caucase et de Roumanie, de Pologne, déferlent vers les frontières orientales de l’empire des Juifs errants, martyrs, affamés, misérables, les Juifs d’Autriche, émancipés depuis cinquante ans à peine, forment à Vienne une élite brillante et influente à laquelle le jeune homme peut être fier d’appartenir. Ils sont le cœur de la bourgeoisie libérale, influente et prospère.
     
    D’abord artisans, banquiers et commerçants, puis devenus, à la deuxième génération, avocats, médecins, professeurs ou journalistes, ils exercent au début du siècle un tiers des professions libérales 3 , représentent plus de la moitié des médecins et des avocats, et les trois quarts des journalistes. Leur rôle dans la société viennoise est capital. Il leur vaut en retour rancœurs et inimitiés. Car si la capitale autrichienne a l’habitude des minorités et se fonde même sur leurs diversités, l’ascension récente et spectaculaire de l’une d’elles a réveillé dans la population une sourde et très ancienne hostilité. On jalouse et on craint ses progrès, on la soupçonne d’avoir l’esprit de domination. Le spectre d’un règne juif hante les consciences de la Belle Epoque. Même Nietzsche en arrive à reconnaître, dans Par-delà le bien et le mal , que « les Juifs, s’ils le voulaient, […], pourraient avoir dès maintenant la prépondérance et littéralement la mainmise sur l’Europe entière ». Zweig, jeune homme, le sait : il n’est pas facile d’être juif, en 1900, sur les bords du Danube où les jeunes lois de François-Joseph n’ont pas aboli de vieilles et tenaces préventions. Dans la ville qui l’a vu naître, l’antisémitisme, aussi, fait partie du décor.
     
    Certes, ce ne sont ni ségrégations ni violences physiques. De simples « taquineries occasionnelles », dit pudiquement le jeune homme, des brimades, quelques insultes, et puis cette expression qui circule dans les rues, en dialecte viennois, Saujude  ! , sale Juif, un mot qui n’a pas cours, heureusement, dans les cercles qu’il fréquente. Il ne l’a jamais entendu prononcer contre lui. Près de quarante ans plus tard, il se souviendra avec beaucoup de nostalgie que personne, alors, ne lui a jamais « suscité le moindre embarras ou témoigné du mépris, parce qu’[il était] juif ». A l’université, il a tous les droits, sauf – curieux exemple des mentalités – celui de se battre en duel. Ce privilège est réservé, par un usage ancien qui a force de loi, aux seuls étudiants chrétiens. Leur honneur leur interdit de croiser l’épée avec quiconque ne le serait pas.
     
    L’antisémitisme traditionnel des Viennois vient de se trouver le plus redoutable des porte-parole : la ville a élu, en 1897, un maire clairement, fougueusement antijuif. Le nouveau bourgmestre, le docteur Karl Lueger, leader du parti chrétien-social, issu de la petite bourgeoisie catholique et se battant pour elle, sera jusqu’à sa mort, en 1910, aussi populaire que François-Joseph. Acclamé comme un monarque dans tous ses déplacements, le beau Karl – der schöne Karl – ainsi que ses électeurs l’appellent, sait déchaîner les foules en jetant l’anathème sur ceux qui dans ses discours partagent avec les Hongrois le rôle de boucs émissaires. Dans la pratique, il sait se montrer conciliant, se vante d’avoir des amis juifs et ne prétend pas menacer la paix dont ils jouissent en Autriche. Mais sous la bonhomie apparente, l’antisémitisme imprègne de fait la vie quotidienne. Sensible sur la place publique, au parlement, à l’école, à l’université, dans les clubs – en particulier les clubs de jeunesse dont quelques-uns se veulent judenrein (purs de Juifs) – et, à travers les organes de presse violemment polémistes contre ceux qu’ils nomment « l’Ennemi », il se fait sentir dans toutes les classes de la société, de l’aristocratie à la classe ouvrière, en passant par les artisans et les boutiquiers, ses plus fervents adeptes. Il n’épargne, hors Vienne, aucune province. En Autriche, quiconque n’est pas juif est, à des degrés divers, de manière plus ou moins dissimulée, farouche ou agressive, un antisémite, déclaré ou en puissance. Ainsi
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