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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif
Autoren: Jerry Spinelli
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j’entrais chez un coiffeur. Il avait raison : le propriétaire
    était parti en abandonnant tout derrière lui. Des flacons de
    liquide coloré – vert, rouge, bleu – étaient alignés sur l’étagère,
    en dessous du grand miroir.
    — On ne t’a jamais coupé les cheveux non plus, hein ? m’a
    demandé Youri.
    — Non.
    — Prends place.
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    J’ai grimpé sur le fauteuil rouge capitonné. Youri m’a fait
    tourner jusqu’à ce que j’aie le vertige. Il a pompé une pédale, et
    je me suis élevé. Il a secoué une grande cape et m’en a drapé.
    D’une boîte en verre, il a tiré un peigne et des ciseaux et s’est
    mis à coiffer et taillader. Bientôt, mes cheveux ont ressemblé à
    de la fourrure.
    — Bien, a-t-il fini par dire. Lequel ?
    — Lequel ? ai-je répété.
    Il a montré les flacons. Je ne comprenais pas pourquoi on
    m’offrait une boisson après ma coupe de cheveux, mais je ne
    tenais pas à discuter. J’avais appris à ne jamais refuser la
    nourriture.
    — Celui-là, ai-je répondu en montrant le bleu.
    À ma grande surprise, Youri ne m’a pas donné à boire mais
    a versé un peu du liquide bleu sur ma tête. Il a passé ses doigts
    dans mes mèches, puis m’a coiffé. Mes cheveux étaient humides
    et luisants.

    Dehors, les gens se précipitaient çà et là. La plupart
    portaient des pelles.
    — Ils vont à la campagne ? ai-je demandé.
    — Ils creusent des tranchées pour arrêter les chars.
    — C’est quoi, un char ?
    — Tu verras.
    Des soldats marchaient au pas, couraient, soufflaient dans
    des sifflets. Des hommes transbahutaient de grands sacs
    rebondis. Ils devaient être lourds, car une personne ne pouvait
    en porter qu’un à la fois, sur ses épaules. Ceux qui avaient une
    brouette réussissaient à en transporter trois.
    — Qu’est-ce qu’il y a, dans les sacs ?
    — Du sable.
    J’ai découvert à quoi servaient les sacs. On les entassait
    dans les porches des immeubles, devant des mitrailleuses, sur
    les toits et au bout des rues.
    Nous avons sauté sur un tramway bringuebalant qui passait
    par là. Une prise pour nos pieds à l’extérieur, nos mains
    agrippées aux montants des fenêtres. Le vent soufflait dans ma
    15

    nouvelle coiffure. Les passagers nous ont regardés d’un air
    mécontent.
    — Fichez le camp ! ont-ils protesté.
    — Regarde ! m’a dit Youri.
    Sur le trottoir, un garçon courait à la même vitesse que
    nous. C’était celui qui m’avait soufflé sa fumée au visage. Ses
    bras serraient une lampe en verre d’un blanc étincelant en
    forme de femme nue. L’abat-jour est tombé, mais il a continué à
    galoper, se faufilant à travers les passants. J’ai regardé derrière
    lui. Un homme le pourchassait en criant : « Arrêtez-le ! »
    Accroché au flanc du véhicule, Youri s’est penché en avant,
    comme une portière qui s’ouvre. Il a agité le bras.
    — Hé ! Kouba !
    Sans cesser de trotter, Kouba a levé les yeux.
    — Hé, Youri !
    C’est alors que quelqu’un lui a fait un croche-pied. Il s’est
    étalé par terre, et la femme nue à la blancheur éclatante s’est
    brisée en mille morceaux sur le trottoir. « Attrapez-le ! » a hurlé
    quelqu’un. Les gens ont convergé vers Kouba.
    — Ils ne l’auront pas, a décrété Youri.
    Tandis que le tramway poursuivait son chemin en
    tressautant, j’ai vu une jambe lancer un coup de pied, puis
    Kouba émerger de la foule et foncer de l’autre côté de la rue,
    poursuivi par les insultes ou les rires des passants.
    Youri a secoué la tête, lugubre.
    — L’imbécile ! L’imbécile ! Ils prennent tout. Juste pour le
    plaisir de prendre.
    Il m’a observé et, au milieu des cliquetis du tramway, a
    ajouté :
    — Ne prends que ce dont tu as besoin. Tu m’entends ?
    Il m’a pincé le nez si fort que les larmes me sont montées
    aux yeux.
    — Oui ! ai-je braillé.
    Fascinés par l’incident, les passagers nous avaient oubliés.
    Ils se sont rappelés à notre bon souvenir.
    — Filez ! a grondé un homme en cravate gris argent. Ouste !
    Un garçonnet m’a tiré la langue. Puis une femme en étole de
    renard s’est approchée. Elle s’est penchée par-dessus les sièges
    16

    et a rabattu la fenêtre sur les mains de Youri. J’ai crié, pas lui.
    Les yeux du renard ressemblaient à de petites billes noires. La
    dame a ensuite voulu fermer ma fenêtre à moi, mais un gros
    bruit a interrompu son geste. Ce n’était pas les claquements du
    véhicule.
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