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L'univers concentrationnaire

L'univers concentrationnaire

Titel: L'univers concentrationnaire
Autoren: David Rousset
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I
LES PORTES S’OUVRENT ET SE FERMENT
    La grande cité solitaire de Buchenwald ; une petite
ville touristique sur les bords de la Weser, Porta Westphalica, avec des
collines creuses au long du fleuve et des fabriques qui s’organisent lentement
sous le monde des racines et des arbres ; Neuengamme dans la perspective
démantelée de Hambourg, chantiers dressés qui se multiplient et s’espacent
autour du chenal et de son port (Klinker, Metallwerk, Industrie, Messap) ;
Helmstedt : des halls assis en cercle et camouflés avec leur suppuration d’ordures,
à nu des étagements de caisses de bombes et des torpilles, des champs de
moutarde, et, sur la plaine, la haute silhouette noire des puits ; à cinq
cents mètres sous terre, la somptueuse ordonnance des tours et des fraiseuses
dans l’éclatement polychrome des blocs de sel ; wagons à l’aventure sur
des lignes détruites au delà des pierres mortes dans les espaces vides de la
faim, troués de moment en moment des appels de la guerre proche et jamais
saisie ; comme un chancre sur la forêt, le campement de Wœbbelin aux
abords de Ludwigslust, squelette nu des murs et, sur la glaise, les excréments
séchés à côté de cadavres désemparés : long cheminement de seize mois, matière
à expérience.
    Des hommes rencontrés de tous les peuples, de toutes les
convictions, lorsque vents et neige claquaient sur les épaules, glaçaient les
ventres aux rythmes militaires, stridents comme un blasphème cassé et moqueur, sous
les phares aveugles, sur la Grand’Place des nuits gelées de Buchenwald ; des
hommes sans convictions, hâves et violents ; des hommes porteurs de
croyances détruites, de dignités défaites ; tout un peuple nu, intérieurement
nu, dévêtu de toute culture, de toute civilisation, armé de pelles et de
pioches, de pics et de marteaux, enchaîné aux Loren rouillés, perceur de sel, déblayeur
de neige, faiseur de béton ; un peuple mordu de coups, obsédé des paradis
de nourritures oubliées ; morsure intime des déchéances – tout ce peuple
le long du temps.
    Et, dans un fantastique agrandissement d’ombre, des
grotesques, ventre béant d’un rire désarticulé : obstination caricaturale
à vivre.
    Les camps sont d’inspiration ubuesque. Buchenwald vit sous
le signe d’un énorme humour, d’une bouffonnerie tragique. Au petit matin, les
quais irréels sous la crudité neutre des sunlights, les S.S. bottés, le Gummi
au poing, égrillards ; les chiens aboyeurs tendus sur la laisse souple et
lâche ; les hommes accroupis pour sauter des wagons, aveuglés par les
coups qui les prennent au piège, refluent et se heurtent, se bousculent, s’élancent,
tombent, tanguent pieds nus dans la neige sale, englués de peur, hantés de soif,
gestes hallucinés et raides de mécaniques enrayées. Et, sans transition, les S.S.
dans la trappe, de grandes salles claires, des lignes nettes, des détenus
fonctionnaires à l’aise, corrects, avec des fiches, des numéros, une indifférence
apaisante ; des alignements stricts, en parade militaire, de tondeuses
électriques qui dénudent les corps stupéfaits, à la chaîne, précises, implacables
comme un jeu mathématique ; une baignoire obligatoire, un bain de crésyl
visqueux et noir qui brûle les paupières ; des douches exaltantes où les
pantins se congratulent avec des satisfactions naïves et magnifiques ; des
caravanes sinueuses le long de couloirs étroits qui semblent ne jamais vouloir
s’achever ; et la découverte d’immenses espaces : des parallèles de
comptoirs avec un attirail de défroques, inventions tardives de tailleurs ivres
et meurtriers, happées au passage, vite, toujours vite : les Galeries
Lafayette d’une Cour des Miracles. Et encore des bureaux toujours plus encombrés
de fonctionnaires, détenus impeccables et affairés, des visages gris et sérieux,
surgis d’un univers kafkéen, qui demandent poliment le nom et l’adresse de la
personne à prévenir de votre mort, et tout est inscrit très posément sur de
petites fiches préparées à l’avance.
    Le troupeau se presse dans la boue entre de hautes façades
aveugles qui pèsent sur la nuit. Des chevilles se tordent sur des sabots plats.
Les murs suintent de lumière et grandissent hors de proportion. Les groupes s’épaulent
et tâtonnent vers les Blocks. En une heure cocasse, l’homme a perdu sa peau. De
ponctuels fonctionnaires ont découpé sans mesure son être de concentrationnaire.
La
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