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L'univers concentrationnaire

L'univers concentrationnaire

Titel: L'univers concentrationnaire
Autoren: David Rousset
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quarantaine devra conditionner ses réflexes.
    Tous les soirs dans la tranchée entre deux Blocks, les
hommes immobiles et muets, la neige partout, et, du haut de l’escalier de
pierre, la même voix monotone penchée sur eux : « Ecoutez, les
Français… » La voix traînante, égale, façonne inlassablement les cerveaux
et les nerfs. « Vous n’êtes pas ici dans un sanatorium, mais dans un camp
de concentration. » La redite ponctue les phrases, spectre derrière les
injonctions, sentinelle des obéissances requises, le croquemitaine tentaculaire :
le « Krematorium ». Depuis des jours, les têtes rasées vacillent, conscientes
seulement d’avoir perdu un monde qui devait être unique et qui se cache, sans
doute, au delà des réseaux électriques, bien au delà d’espaces vides sans horizons
traversés de rails éventrés.
    Les arrivants sont vaccinés. L’ordre est venu très tôt, et
pour la troisième fois. Les Hæftlinge sont parqués dans le dortoir et nus
depuis une heure, dans l’obstination d’un courant d’air. La déchirure des
vitres s’ouvre sur la planète glacée : le monde buchenwaldien, clos sur la
neige et les tornades, avec, par-delà les miradors, des pentes neigeuses de
sapins comme des cartes de Noël. A grandes claques sur les dos, les détenus se
battent avec le froid. La porte du réfectoire s’ouvre en bourrasque sur trois
infirmiers qui se précipitent, mannequins comiques et agités, bousculant les
tables désertes. Le premier au hasard laisse une balafre jaune sur le bras, le
second pique, pique, pique comme une perceuse mécanique. Du travail aux pièces
et vite, très vite fini. Jamais l’aiguille n’a été stérilisée.
    Pas de travail en quarantaine, des corvées : l’apprentissage
qui doit rompre les muscles aux commandements. De longues théories se profilent
sur les hauteurs de la carrière, cratère ouvert devant le pays. Le vent s’acharne
à ses flancs et enrage sur des lointains sans cesse renaissants. Saisis au
travers d’une grande épaisseur de verre, à des distances incommensurables, dans
un autre système planétaire, un train roule, et des villages épars sur les
collines et des fumées dans une sorte de buée grise, et des forêts, et les
taches claires des champs qui tremblent comme sous une eau profonde. Jurons et
cris dans la solitude. Les hommes s’enfoncent, glissent dans des fondrières de
boue. Choisir une pierre de la meilleure apparence et la moins lourde, et
revenir au camp ainsi, à la file, à épuiser les heures lentes.
    Silhouettes noires et menues à la lisière du plateau, courbées
sous les rafales de neige qui les ensevelissent et les découvrent tour à tour, des
hommes portent, traînent, poussent des caisses, des tonneaux, des brouettes de
merde. La merde est pompée dans de grands bassins et répandue sur les jardins
des S.S., à quatre cents mètres de là. Le chemin est un étroit sentier raboteux
et gelé, où les pieds dérapent. Les muscles sont tendus de fatigue. Les visages
et les mains brûlés de froid. Les Vorarbeiter aboient et cognent. Sans répit, déportées
par les bourrasques, les colonnes se croisent douze heures de rang.

II
LES PREMIERS-NÉS DE LA MORT
    Depuis quinze jours, les listes sont closes, mais rien
encore n’a été fait. Brusquement, à six heures du soir, l’ordre est venu. Trois
mille hommes doivent passer la visite médicale et revêtir la tenue bleue rayée
des transports. Les groupes se figent dans une attente interminable. La neige
devient noire au delà des enceintes, et les phares s’allument de distance en
distance, feux tournants d’une plage lointaine. Les hommes entrent dans la
pièce chaude, buste nu. Le S.S. est affalé dans un fauteuil. Ses bottes
reluisent. Adossé confortablement, les jambes posées très haut sur une table, le
S.S. fume un cigare. Près de lui, deux scribes Hæftling courbés sur leurs feuilles,
humbles et respectueux comme des figures de l’antique Egypte. Un infirmier
présente un à un les concentrationnaires. Il a le geste sec, jauge d’un coup d’œil
la soumission nécessaire de l’homme qui s’avance. Et, vite, pose les questions
d’usage. Toujours vite, il ouvre le pantalon et fait jouer les muscles du
bas-ventre. Rapide et obséquieux, attentif au maître. Le S.S. lève une paupière
lourde, pose, bref, un regard impassible sur le détenu, lâche une volute de
fumée et, de la main, commence le geste : « Au suivant. » Dehors,
des
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