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L'univers concentrationnaire

L'univers concentrationnaire

Titel: L'univers concentrationnaire
Autoren: David Rousset
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n’accepta
les propositions de libération des S.S. Les hommes de la Bible ne renient pas
leur Dieu. Otto est avec son Dieu. On dit, par ailleurs, qu’il couche avec la
patronne de la boulangerie. Hermann, Vorarbeiter sans brassard, un communiste, le
visage ravagé, est gai ; jamais il ne frappe. Félix, le Polonais, qui se
prétend Reichsdeutscher, et que certains accusent de porter sur lui l’odeur de
la Gestapo. Sa femme tient un bazar dans un bourg près de Düsseldorf. Il
déteste Emil et son ton autoritaire. Félix est d’une constance étonnante dans
une politesse toujours excessive. C’est un « organisateur » qualifié.
Son équipe travaille à l’ascenseur de Bartensleben ; il vole chaque jour
deux bidons de soupe aux civils. Alex, le Russe, s’est assis sur son lit, les
bottes pendantes. Emil ne raconte plus. Il a mis sur la table un pot de
margarine. Il a, sur du papier blanc, de la viande hachée. Et, lentement, il
commence à couper son pain.
    A la Schreibstube, les cris ont cessé. Les hommes s’empilent
dans le dortoir, sur les planches, et jurent : des couvertures ont disparu,
et des paillasses. Des planches s’écroulent du troisième étage dans une bordée
d’insultes. Le long des tables, dans l’allée centrale, des remous de groupes
qui se disloquent et se forment. Des Grecs vendent leur pain contre des
cigarettes. Sous la lumière des lampes, les coiffeurs polonais et russes
commencent à raser. Salaud, espèce de con, Yebany v rot. Borisuk met sa
main en éventail à la braguette et regarde Noizat qui devient blanc près des
lèvres. Mais Yurkevitch est assis à côté de Borisuk. Noizat crache et se tait. Les
hommes se serrent dans sa file. De l’autre côté, c’est Banache qui coupe les
cheveux. Les gorges éructent des blasphèmes contre Banache parce qu’il a fait
passer devant les autres Poláček, le Vorarbeiter détesté de la mine. Georgialès,
le capitaine, tassé sur lui-même, la chair flasque des paupières gonflée de
fièvre, hésite : la chaîne des hommes est longue devant le Revier. Marcel
est parti à la Schælküche éplucher des carottes. Il a tâté un moment le pour et
le contre. Il ne reviendra pas avant onze heures. Avec un peu de chance, il
aura peut-être un litre de soupe : des morceaux de choux dans de l’eau
froide. Marcel, le Lillot, a faim. Claude cherche à négocier une portion de
saucisson. Roger est sur son lit, hâve et pâle, le regard terne, cette furieuse
envie de tabac plus forte que la faim : il mendie des yeux une « touche »
et, rageur, songe à son bordel qui fonctionne tout seul, là-bas, près de Paris.
Maurice est étendu sur sa paillasse à côté des Espagnols qui, comme tous les
soirs, se sont groupés et bavardent ; et il songe à Villejuif. Il voudrait
forcer le désert de silence, tout cet espace désolé et opaque où s’enferment
les camps. Nicolaï, le Kirghize, coud des boutons à sa veste avec cette lenteur
grave qui, parfois, fait place à un éclat de rire enfantin. Mais, ce soir, il
est triste. Il a vu des femmes à la mine, et c’était comme si Nicolaï, le
concentrationnaire, n’était pas un homme à leurs yeux. Kostura, le Tartare, un
Oberleutnant, blague avec Yury. La face de Yury est grasse et ronde maintenant
qu’il travaille à la cuisine. Le Hollandais Paul est malade de tristesse. Son
beau visage voudrait un refuge contre le tumulte. Heindrich, son ami, est mort
aujourd’hui. Ils ont prié et lu la Bible ensemble, mais Heindrich est mort. Les
voies du Seigneur sont mystérieuses. Et Paul est triste terriblement triste. Dans
la Stube zwei, Martin s’est couché. Il a fermé les yeux ;. Mais, longtemps
avant que le sommeil ne vienne, il appellera ses petits-enfants.

V
IL EXISTE PLUSIEURS CHAMBRES DANS LA MAISON DU SEIGNEUR
    Cette vie intense des camps a des lois et des raisons d’être.
Ce peuple de concentrationnaires connaît des mobiles qui lui sont propres et
qui ont peu de commun avec l’existence d’un homme de Paris ou de Toulouse, de
New-York ou de Tiflis. Mais que cet univers concentrationnaire existe n’est pas
sans importance pour la signification de l’univers des gens ordinaires, des
hommes tout court. Il ne peut suffire de prendre une sorte de contact physique
avec cette vie, si totalement séparée des structures courantes du XX e siècle. Mais faut-il encore en saisir les règles et en pénétrer le sens.
    Et, tout d’abord, des erreurs naïves à éviter comme
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