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L'univers concentrationnaire

L'univers concentrationnaire

Titel: L'univers concentrationnaire
Autoren: David Rousset
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muscles. Et, la
nuit, les Hæftlinge s’entretueront pour dix grammes de pain, pour un peu de
place. Le matin, les cadavres couverts d’ecchymoses, dans les fossés. A
Wœbbelin, il faudra monter la garde des morts avec des gourdins et tuer ceux
qui mangent cette chair misérable, et fétide des cadavres. Des squelettes étonnants,
les yeux vides, marchent en aveugles sur des ordures puantes. Ils s’épaulent à
une poutre, la tête tombante, et restent immobiles, muets, une heure, deux
heures. Un peu plus tard, le corps s’est affaissé. Le cadavre vivant est devenu
un cadavre mort.
    Dans la nuit, les hommes se massent sur cinq. La neige est
partout. Les phares de la porte principale beuglent dans la tempête comme des
cornes barbares et puissantes. Quarante-cinq mille détenus montent vers la
Grand’Place. Tous les soirs, immanquablement. Les vivants, les malades et les
morts. Les injures rongent les lèvres et se taisent devant les dieux de la
porte principale. L’orchestre ironique et bouffon scande la marche lente d’un
peuple hagard. C’est un univers à part, totalement clos, étrange royaume d’une
fatalité singulière. La profondeur des camps.

IV
D’ÉTRANGES HANTISES TRAVAILLAIENT LEURS CORPS
    « Vous ne connaissez pas la profondeur des camps. »
Un soir, à Helmstedt, dans la Stube zwei, la petite salle des Kapos. Personne n’est
là que nous trois : Emil, à sa place ordinaire en haut de la table, le dos
à la cloison qui sépare de la Schreibstube ; Martin, accoudé à sa droite, et
moi à cheval sur le banc, en face de Martin. Georg est sorti. Petit, trapu, il
est menuisier ici. Il compte dix années de camp. Pour avoir trop aimé les
petites filles et s’être cru guérisseur. De temps à autre, d’ailleurs, il
impose encore les mains. Maintenant, il est amoureux d’une femme détenue, et il
lui passe clandestinement des lettres et parfois un casse-croûte. Il risque
vingt-cinq coups sur les fesses, mais il est amoureux. Il a quarante-cinq ans, le
visage tanné d’un paysan retors et une propension incroyable pour le discours. Du
côté de la Schreibstube, on entend la voix de Poppenhauer, le Lageræltester, qui
s’élève, grasse et vulgaire. Epais, les gestes lourds, le cou trop gras et
court, la tête massive avec les cheveux coupés très haut, c’est le type achevé
d’un petit bourgeois allemand, sorti de Simplicissimus. Il est, depuis un an, concentrationnaire,
pour avoir vendu au marché noir des appareillages électriques réservés à l’Etat.
Il a séjourné plusieurs mois aux Etats-Unis, et il parle anglais. Poppenhauer
frappe les hommes avec l’excitation d’un adjudant. Franz, avant son arrestation,
tapait comme un furieux. Il se précipitait en tornade sur les détenus, ivre de
l’âcre plaisir d’assommer, de voir fuir et tomber devant lui seul sept cents
hommes. Mais il avait ses heures d’apaisement, de libéralité princière. Poppenhauer,
lui, n’arrête jamais. Il est tatillon, mesquin. La gueule congestionnée, la matraque
levée, il poursuit et assomme les hommes avec une rage asthmatique. Tous les
soirs, il s’amuse à contraindre au jeu du crapaud des détenus harassés de
fatigue et de faim, mais dont les couvertures n’étaient pas réglementairement
pliées. Après quoi, il est obligé de s’étendre parce que son foie lui fait mal.
Alfred, le Kapo du Rollwagen, répond maintenant à Poppenhauer. Il a une façon
de dire brève, indifférente. Il parle un peu le français en articulant chaque
mot très lentement. Il dit qu’il a une femme à Avignon. C’est lui qui a vendu
Franz aux S.S. et qui a fait nommer Poppenhauer Lageræltester. Alfred a une
grande puissance parce qu’il détient presque tous les leviers du marché noir
local, et il aide au trafic des S.S. Le soir, lorsque les hommes sont enfermés
dans le dortoir, il joue du Mozart, et bien. Le dimanche, il aime chanter longtemps,
avec quelques autres, de vieux Lieder sentimentaux. La veille, il a roué de
coups Rudolf, qui avait fait de sales propositions au curé Heinz, son amant. Et
il doit maintenant ruminer de sanglantes vengeances contre cette crapule de
Herbert Pfeiffer toujours à demi saoul, mais qui a réussi à se faire aimer passionnément
par Heinz. Les appels montent du réfectoire. Kamou ! Kamou ! Kamou
cigarettes ? Delaunay, passe-moi ta miska, bon Dieu ! Scheisse Mensch !
Khouï ! Pisda ! Quelqu’un, dans la foule imite le grand Toni : Iopa
twoyou mate
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