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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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hommes
vieillissants indulgents envers leurs semblables.
    – Ce n'est
pas un mauvais homme, Daniel, dit-il. Chacun aime à sa façon.
    Le docteur
Mendoza, qui doutait que je sois capable de tenir debout plus d'une demi-heure,
m'avait averti que l'agitation d'un mariage et de ses préparatifs n'était pas
le meilleur traitement pour guérir un homme qui avait bien failli laisser son
cœur dans la salle d'opération. Je l'avais rassuré.
    – Ne vous
inquiétez pas. On ne me laisse rien faire.
    Je ne
mentais pas. Fermín Romero de Torres s'était érigé en dictateur absolu et en
factotum de la cérémonie, du banquet et de tout le reste. Le curé de l'église,
en apprenant que la future mariée se présenterait enceinte à l'autel, avait
refusé net de célébrer le mariage et menacé d'en appeler aux mânes de la Sainte
Inquisition pour qu'ils empêchent ce sacrilège. Fermín s'était mis en colère et
l'avait sorti de l'église en le traînant par la peau du cou, en clamant à tous
les vents qu'il était indigne de son habit, de la paroisse, et en jurant que
s'il osait bouger le petit doigt, il ferait, lui Fermín, un tel scandale à
l'évêché que sa misérable mesquinerie lui vaudrait pour le moins l'exil sur le
rocher de Gibraltar où il pourrait évangéliser les singes. Plusieurs passants
avaient applaudi, et le fleuriste de la place lui avait fait cadeau d'un œillet
blanc qu'il garda à sa boutonnière jusqu'à ce que les pétales prennent la
couleur du col de sa chemise. Rasséréné mais toujours sans prêtre, Fermín
s'était rendu au collège San Gabriel pour faire appel aux services du père
Fernando Ramos, lequel n'avait jamais célébré un mariage de sa vie, ses
spécialités étant, dans l'ordre, le latin et le grec, la trigonométrie et la
gymnastique suédoise.
    –
Éminence, le fiancé est très faible et nous ne pouvons pas prendre le risque de
lui causer un autre choc. Il voit en vous la réincarnation des pères spirituels de notre Sainte Mère l'Église, saint Thomas, saint Augustin
qui sont là-haut avec la Vierge de Fatima. Tel que vous le voyez, ce garçon est
comme moi, très pieux. Un mystique. Si je lui annonce que vous refusez, nous
aurons à célébrer un enterrement au lieu d'un mariage.
    – Eh bien,
puisque vous me présentez les choses sous cet angle...
    A en
croire ce que l'on m'a raconté par la suite – car les autres se souviennent
toujours mieux que vous-même de votre mariage –, Bernarda et Barceló (suivant
les instructions détaillées de Fermín) abreuvèrent le pauvre prêtre de muscat,
pour le mettre dans des dispositions adéquates avant la cérémonie. A l'heure
d'officier, le père Fernando, arborant un sourire bénisseur et un teint
agréablement fleuri, choisit de faire une audacieuse entorse au rituel en
remplaçant la lecture de je ne sais quelle Lettre aux Corinthiens par celle
d'un sonnet d'amour, œuvre d'un certain Pablo Neruda, que plusieurs invités de
M. Aguilar identifièrent comme un communiste et un bolchevique enragé, tandis
que d'autres cherchaient dans leur missel ces vers d'une étonnante beauté
païenne en se demandant s'il s'agissait des premiers signes du concile à venir.
    Le soir
précédant le mariage, Fermín, architecte de l'événement
et maître des cérémonies, m'annonça qu’il avait organisé une soirée pour
enterrer ma viede garçon, soirée dont nous serions, lui et moi, les
seuls invités.
    – Je ne
sais pas, Fermín. Moi, ces choses-là...
    –
Faites-moi confiance.
    La nuit
venue, je le suivis docilement dans un bouge infâme de la rue Escudillers où
les odeurs corporelles se mêlaient à celles de la plus infecte friture de tout
le littoral méditerranéen. Une assemblée choisie de dames alliant une vertu
facile à beaucoup de kilomètres au compteur nous reçut avec des sourires qui
auraient fait les choux gras d'une faculté d'orthodontie.
    – Nous
venons voir la Rociíto, annonça Fermín à un maquereau dont les rouflaquettes
présentaient une curieuse ressemblance avec le cap Finisterre.
    – Fermín,
murmurai-je, atterré. Pour l'amour de Dieu...
    –
Fiez-vous à moi.
    La Rociíto
accourut aussitôt dans toute sa gloire, dont je calculai qu'elle frisait les
quatre-vingt-dix kilos sans compter le col de dentelle et la robe de viscose
rouge, et m'inspecta consciencieusement.
    – Salut,
mon p'tit cœur. Ben tu sais, j'te voyais plus vieux.
    – Ce n'est
pas lui l'intéressé, rectifia Fermín.
    Je compris
alors
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