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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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rouges
au cas où il m'en faudrait encore. C'était peut-être pour cette raison que je
me sentais plus sage et moins Daniel. Je me souviens qu’il y avait un
bouquet de fleurs et que, l'après-midi qui suivit, ou alors deux minutes plus
tard, je ne saurais dire, je vis défiler dans ma chambre Gustavo Barceló et
sa nièce Clara, Bernarda et mon ami Tomás qui n'osait pas me regarder dans les
yeux et qui, quand je l'embrassai, parût en courant pleurer dans la rue. Je me
souviens vaguement de M.
Federico, qui était accompagné de Merceditas et de M.
Anacleto, le professeur. Et surtout, je me souviens de Bea,
qui me contemplait en silence pendant que les autres laissaient éclater leur
joie et se répandaient en actions de grâces, et de mon père qui avait dormi sur
cette chaise pendant sept nuits, en priant un Dieu auquel il ne croyait pas.
    Lorsque
les médecins obligèrent tout ce monde à évacuer la chambre pour me ménager un
repos dont je ne voulais pas, mon père s'approcha un moment et me dit qu'il
m'avait apporté le stylo de Victor Hugo et un cahier au cas où je voudrais
écrire. Fermín, du seuil, annonça qu'il avait consulté tous les docteurs de la
clinique et qu'ils lui avaient certifié que je n'aurais pas à faire mon service
militaire. Bea posa m baiser sur mon front et emmena mon père prendre l'air,
car il n'était pas sorti de la chambre depuis plus d'une semaine. Je restai
seul, écrasé de fatigue, et m'endormis en couvant des yeux l'étui de mon stylo
sur la table de nuit.
    Je fus
réveillé par des pas qui franchissaient la porte, et je crus voir la silhouette
de mon père s'approcher du lit, ou peut-être était-ce celle du docteur Mendoza
qui veillait constamment sur moi, convaincu que j’étais un miraculé. Le
visiteur fit le tour du lit et s’assit sur la chaise de mon père. J'avais la
bouche sèche et pouvais parler. Julián Carax porta un verre d’au à mes lèvres
et ma souleva la tête pour me faire boire. Ses yeux exprimaient un adieu, et il
me suffit de les regarder pour comprendre qu'il ne saurait jamais que Pénélope
sa sœur. Je ne me rappelle pas bien ses paroles ni le son de sa voix. Je sais
seulement qu'il me prit la main : je sentis qu'il me demandait de vivre à
sa place et que je ne le reverrais jamais. Ce que je n'ai pas oublié, ce sont
mes propres paroles : je le priai de prendre ce stylo, qui avait été à lui
depuis toujours, et de se remettre à écrire.
    Quand
je me réveillai, Bea me rafraîchissait le front avec un mouchoir imbibé d'eau
de Cologne. Tout ému, je lui demandai où était Carax. Elle me regarda,
interdite, et m'affirma que Carax avait disparu dans la tempête, huit jours
auparavant, en laissant des traces de sang dans la neige, et que tout le monde
le pensait mort. Je dis que non, qu'à peine quelques secondes plus tôt il se
trouvait ici même, avec moi. Bea me sourit, sans répondre. L'infirmière qui me
prenait le pouls hocha lentement la tête : j'avais dormi six heures
d'affilée, elle était restée assise tout ce temps à son bureau devant la porte
de ma chambre, et personne n 'était entré.
    Cette
nuit-là, en tentant de me rendormir, je tournai la tête sur l'oreiller et pus
voir que l'étui était ouvert et que le stylo avait disparu.

 
     
     
     
     
    1986
     
    Les giboulées de mars

 
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
    Nous nous
mariâmes, Bea et moi, deux mois plus tard à l'église
de Santa Ana. M. Aguilar, qui ne me parlait encore que par monosyllabes et
continuera de le faire jusqu 'à la fin des
temps, m'avait accordé la main de sa fille devant l'impossibilité d'obtenir ma
tête sur un plateau. Sa fureur l'avait quitté avec la disparition de Bea, et il
semblait vivre désormais dans un état d'alarme perpétuelle, résigné à avoir un
petit-fils qui m'appellerait papa et à perdre,
volée par la vie à cause d'un individu sans vergogne réchappé d'une fusillade,
la fille que, malgré ses lunettes, il continuait à voir comme au jour de sa
première communion et pas un de plus. Une semaine avant la cérémonie, le père
de Bea s'était présenté à la
librairie pour me donner une épingle de cravate en or qui avait appartenu à son
propre père et me serrer la main.
    – Bea est
la seule chose bien que j'ai faite dans ma vie. Veille sur elle.
    Mon père
l'avait raccompagné à la porte avant de le regarder s'éloigner dans la rue
Santa Ana avec cette mélancolie qui rend les
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