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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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la nature du quiproquo, et mes craintes se dissipèrent. Fermín n'oubliait
jamais une promesse, surtout si c'était moi qui l'avais faite. Nous parûmes
tous trois à la recherche d'un taxi pour nous faire déposer devant l'asile de
Santa Lucia. Pendant le trajet, Fermín qui, par déférence pour mon état de
santé et ma condition de futur marié, m'avait cédé la place à côté du
chauffeur, partageait la banquette arrière avec la Rociíto en soupesant ses
avantages avec une visible délectation.
    – Tu es
drôlement bien lotie, Rociíto, Ton cul mignon, c'est l'apocalypse selon
Botticelli.
    – Ah,
m'sieur Fermín, depuis qu'vous êtes fiancé, vous m'laissez tomber, fripon.
    – C'est
que tu as beaucoup de maris, Rociíto, et moi je suis pour la monogamie.
    –
T'occupe, la Rociíto elle soigne ça avec de bonnes giclées de pépécilline.
    Il était
minuit passé quand nous arrivâmes rue Moncada, escortant le corps céleste de la
Rociíto. Nous l'introduisîmes dans l'asile de Santa Lucia par la porte de
derrière, laquelle servait à évacuer les défunts dans une ruelle aux pavés gras
qui sentait l'œsophage des enfers. Une fois dans les ténèbres du Tenebrarium , Fermín
donna ses dernières instructions à la Rociíto, pendant que je localisais le grand-père
à qui j'avais promis une dernière danse avec Éros avant que Thanatos ne lui
donne quitus.
    –
Rappelle-toi, Rociíto, que le vieux est un peu dur de la feuille, que tu dois
lui parler fort, clair et bien cochon, tu connais les mots qu'il faut, mais sans
excès, vu qu'il n'est pas question de lui donner son billet pour le royaume des
cieux avant l'heure de l'arrêt cardiaque.
    – T'en
fais pas mon joli, j'suis une pro.
    Je trouvai
le bénéficiaire de ces amours vénales dans un recoin du premier étage, tel un
sage ermite réfugié derrière des murs de solitude. Il leva les yeux et
contempla, déconcerté.
    – Je suis
mort ?
    – Non.
Vous êtes vivant. Vous ne vous souvenez pas de moi ?
    – Je me
souviens de vous aussi bien que de mes premières chaussures, jeune homme, mais
en vous voyant ainsi, cadavérique, j'ai cm à une apparition de l'au-delà. Ici,
on perd ce que vous autres, à l'extérieur, appelez le discernement. Donc vous
n'êtes pas une apparition ?
    – Non,
l'apparition, elle vous attend en bas, si vous voulez bien.
    Je
conduisis le grand-père dans une cellule lugubre que Fermín et la Rociíto
avaient égayée avec des bougies et quelques gouttes de parfum. Quand il posa
son regard sur les appas débordants de notre Vénus andalouse, le visage du
grand-père s'illumina de paradis rêvés.
    – Que le
ciel vous bénisse !
    – En
attendant, montez-y ! dit Fermín en désignant la nymphe de la rue
Escudillers qui se disposait à déployer ses charmes.
    Je la vis
s'emparer du grand-père avec une infinie tendresse et baiser les larmes qui
coulaient sur ses joues. Fermín et moi nous éclipsâmes pour les laisser à une
intimité bien méritée. Dans notre traversée de cette galerie de désespoirs,
nous tombâmes nez à nez avec une des sœurs qui administraient l'asile. Elle
nous lança un regard chargé d'acide sulfurique.
    – Des
pensionnaires prétendent que vous avez introduit une prostituée et disent que,
puisque c'est comme ça, eux aussi en veulent une.
    – Très
révérende sœur, pour qui nous prenez-vous ? Notre présence en ces lieux
est strictement œcuménique. Vous avez devant vous un jeune garçon qui, pas plus
tard que demain matin, va devenir un homme aux yeux de notre Sainte Mère
l'Église, et nous venions porte secours à votre pensionnaire Jacinta Coronado.
    La sœur
Emilia haussa un sourcil.
    – Vous
êtes de la famille ?
    –
Spirituellement.
    – Jacinta
est morte il y a quinze jours. Un monsieur était venu lui rendre visite le soir
qui a précédé son décès. C 'est un
parent à vous ?
    – Vous
parlez du père Fernando ?
    – Ce
n'était pas un prêtre. Il m'a dit qu'il s'appelait Julián. Je ne me souviens
pas du nom de famille.
    Fermín me
regarda, muet
    – Julián
est un de mes amis, dis-je.
    Sœur
Emilia hocha la tête.
    – Il est
resté plusieurs heures avec elle. Cela faisait des années que je ne l'avais pas
entendue rire. Après son départ, elle m'a dit qu'ils avaient évoqué le passé,
l'époque où ils étaient jeunes. Que ce monsieur lui apportait des nouvelles de
sa fille Penélope. Je ne savais pas que Jacinta avait eu une fille. Je m'en
souviens parce que, ce
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