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L’impératrice lève le masque

L’impératrice lève le masque

Titel: L’impératrice lève le masque
Autoren: Nicolas Remin
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percée d’un trou béant ne vit plus. Alors, Tron perdit connaissance. Ce n’était pas une petite syncope, mais une lente descente dans le royaume des ombres, scandée par les cris de la princesse qui lui tenait maintenant la main.

58
    De temps en temps, il sortait de l’obscurité qui l’enveloppait, mais les souffrances reprenaient aussitôt, si bien qu’il préférait s’évanouir à nouveau. Il avait mal partout. Les douleurs partaient de ses pieds, lui remontaient le long du corps par longues vagues lancinantes et lui martelaient le crâne. Elles battaient au rythme de son cœur et étaient si insoutenables qu’il aurait préféré être mort.
    Quelque temps plus tard (des jours ? des mois ?), il constata que les douleurs étaient moins fortes quand il émergeait. Alors, il pouvait se concentrer sur les bruits qui l’entouraient : les pas qui s’approchaient et s’éloignaient, l’eau d’une cruche qu’on versait dans un verre (quel beau bruit !), les voix qui semblaient se mêler en d’interminables conversations.
    Il ignorait où il se trouvait, comment il était arrivé là et ce qui se passait en marge de l’obscurité dans laquelle il était plongé. Cela ne l’intéressait d’ailleurs pas. Une seule fois, en entendant le son de cloches lointaines, il se souvint de quelque chose : une eau verte devant la fenêtre (avait-il habité là ?) et de minces barques noires qui flottaient à la surface. Il ne savait pas où c’était ni pourquoi il avait cette image en tête.
    Il ne savait pas non plus comment il s’appelait. Il voyait juste un homme (sévère ?) devant un tableau noir, une craie à la main, déclarant que son nom faisait penser à quelqu’un qui dévale les escaliers. Il trouvait cela amusant, même si ce drôle de nom (Plonk ? Dong ? Momp ?) ne lui revenait pas. Mais il ne pouvait pas rire parce que chaque mouvement de son visage réveillait aussitôt les douleurs.
     
    Le dimanche 5 mars 1862, Tron fut réveillé par le bruit d’un verre qu’on posait sur la table de nuit, mais il n’ouvrit pas les yeux. Quelqu’un était assis à côté de son lit – il entendait les froufrous d’une robe. Puis la voix de la comtesse murmura : — Tiens, bois un peu. Le docteur Wagner a dit que tu devais boire.
    À ce moment-là, il ouvrit les yeux.
    — Le docteur Wagner ?
    Il avait l’impression que chaque mot était comme un glaçon qui devait d’abord fondre sur sa langue.
    — Le médecin qui te soigne. C’est lui qui a mis le bandage autour de tes côtes cassées, qui s’occupe de ton omoplate et de ton bras.
    De la main droite, Tron toucha son bras gauche et sentit un gros linge : — L’os est-il atteint ?
    — Non. Tu as eu de la chance. Mais tu as perdu beaucoup de sang. Le docteur Wagner a changé le pansement ce matin. Il revient ce soir.
    — Je ne connais pas de docteur Wagner. Pourquoi n’est-ce pas le docteur Manin qui me soigne ?
    — C’est lui qui aurait dû s’occuper de toi, Alvise, mais on nous a envoyé le docteur Wagner et je ne pouvais pas refuser.
    — Envoyé ? Je n’y comprends rien.
    — Le docteur Wagner est arrivé avec une lettre.
    La comtesse souriait, radieuse.
    — Qu’elle a écrite en personne. À mon adresse personnelle.
    — Une lettre écrite en personne à ton adresse personnelle ?
    Toujours ce sourire radieux.
    — Tout à fait personnelle. Avec le souhait de faire plus ample connaissance.
    — Veux-tu bien me dire de quoi tu parles ? Qui t’écrit en personne des lettres à ton adresse personnelle pour nous recommander un médecin ?
    — Tu ne te souviens pas de ta charmante partenaire ?
    Le convalescent se redressa d’un coup. Ses côtes enrubannées lancèrent une vague de douleurs qui lui traversa le corps et le ramena sur son oreiller.
    — Tu veux parler de l’impératrice ?
    Elle hocha la tête.
    — Je parle en effet d’Élisabeth d’Autriche. Elle est bouleversée par ce qui t’arrive et a insisté pour nous envoyer son médecin.
    — Ce n’est pas croyable, tu ne trouves pas ?
    Sa mère haussa les épaules.
    — Nous fréquentons depuis toujours les Habsbourg. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait remarquer à Béa Mocenigo. Elle fut bien obligée de me donner raison, même si elle n’a pas pu s’empêcher de laisser percer un brin de jalousie sur les liens qui unissent nos deux familles.
    Tron bâilla.
    — Combien de temps ai-je dormi ?
    — Une bonne semaine. Tu avais beaucoup de fièvre. Quand tu te
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