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L’impératrice lève le masque

L’impératrice lève le masque

Titel: L’impératrice lève le masque
Autoren: Nicolas Remin
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lui.
    — Mais si ce n’étaient pas des soldats, qui était-ce ?
    Le religieux poussa un soupir.
    — Je n’en sais rien.
    Il avait l’air sombre et tendu.
    — Va-t-elle s’en sortir ?
    Il se tenait toujours au pied du lit. Son œil gauche parcourait sans cesse le corps frêle de la jeune fille.
    Le médecin remarqua les taches sur la soutane élimée et se reprocha de ne pas avoir vu plus tôt la calme dignité qui émanait de cet homme. Pendant un instant, il songea à lui dire ce qui s’était passé, mais finalement, il y renonça. Il suffisait de lui garantir qu’elle survivrait.
    Trois jours plus tôt, lors de sa visite du matin, la jeune fille avait enfin ouvert les yeux pendant quelques secondes. Il savait qu’il n’oublierait jamais cet instant. Pourtant, il s’y connaissait en regards. Il connaissait ceux des mourants qui suppliaient qu’on leur accorde un dernier sursis ou une fin rapide. Il connaissait ceux des proches qui accusaient le médecin de tous leurs maux.
    Mais le regard de la jeune fille n’avait exprimé ni prière ni reproche. Ses yeux d’un vert clair et brillant comme le feuillage du printemps n’avaient pas traduit la moindre émotion. Voilà ce qui l’avait troublé. Le docteur Falier n’avait pas croisé le regard d’une enfant, mais celui d’une femme qui savait ce qui lui était arrivé et qui était bien résolue à ne jamais oublier. Le sens de ce regard était si limpide et si insistant que pendant un moment, il avait été persuadé qu’elle lui avait parlé.
    Il quitta la fenêtre et s’approcha du lit pour observer la jeune fille aux paupières frémissantes qui serrait le bord des couvertures dans la main droite. Sur sa gorge, on distinguait toujours des traces de strangulation.
    — Oui, elle va s’en sortir, déclara-t-il. Mais elle ne se souviendra de rien.
    1 - Barque à rames, à fond plat. ( N.d.T. )

1
    Au moment où la comtesse Farsetti s’avança sur le campo 1 della Bragora, le chat à rayures grises qui venait de voler un poisson tourna la tête avec défiance. Il avait neigé pendant la nuit et, dans la pénombre, son pelage se distinguait à peine de la couche blanchâtre qui recouvrait la place à hauteur de chevilles. Pendant quelques secondes, l’animal resta immobile. Puis il fit un saut et Emilia Farsetti le vit disparaître entre les cageots d’où il avait surgi.
    Bien que ce fût dimanche et que neuf heures n’eussent pas encore sonné, le petit café tenu par un couple d’un certain âge, à l’extrémité ouest du campo , était déjà ouvert. La patronne – une femme rondouillarde qui poussait la neige devant sa porte à l’aide d’un balai de ramilles – adressa un signe aimable à la comtesse. Celle-ci lui rendit son salut l’esprit serein, sûre que l’autre ne savait pas qui elle était et à quelles occupations elle vaquait tous les matins.
    Au début – c’était à l’automne dernier –, Emilia Farsetti souffrait encore le martyre chaque fois qu’elle se rendait au travail. Elle avait l’impression que tous ceux qu’elle rencontrait la montraient du doigt dans son dos. C’était bien entendu absurde. Les temps étaient révolus où l’on clouait au pilori les femmes qui exerçaient un métier honnête. Beaucoup – y compris parmi celles de son monde – se permettaient aujourd’hui des choses impensables quelques générations auparavant. Sa cousine Zefetta par exemple (née Priuli, rien que cela !) vivait des relations qu’elle nouait dans les cafés de la place Saint-Marc. Et un an auparavant, elle avait dû elle-même s’improviser marchande de nouveautés – dans une ville qui grouillait de modistes !
    Vu sous cet angle, elle avait eu de la chance de se voir proposer (par quelqu’un qui ne savait pas qui elle était) l’emploi qu’elle occupait désormais. Non seulement le salaire était correct, mais en plus – comme elle eut tôt fait de s’en rendre compte – ce gagne-pain lui offrait la possibilité de substantiels gains annexes. La broche qui, dans le cadre de ces activités, était entrée en sa possession juste avant Noël lui avait rapporté une somme suffisante pour vivre confortablement pendant trois mois. En règle générale néanmoins, son butin se limitait à des mouchoirs, peignes, foulards et autres gants oubliés par la clientèle.
    Il était neuf heures et quelques quand Emilia Farsetti sortit du labyrinthe de ruelles qui entourait le campo della Bragora et prit à droite
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