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L’impératrice lève le masque

L’impératrice lève le masque

Titel: L’impératrice lève le masque
Autoren: Nicolas Remin
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de la jeune femme. Puis toutes ces images se fondirent en une seule et la comtesse dut se coller la main sur la bouche pour retenir un cri.
    L’homme étendu sous ses yeux avait une bonne soixantaine d’années. Hormis sa redingote, il ne lui manquait aucun vêtement. Il portait un pantalon gris orné de bandes de velours sur les côtés, une chemise amidonnée recouverte en partie par son gilet de costume et une lavallière noire qui restait nouée avec soin jusque dans la mort. Sa tête était légèrement inclinée vers la droite, de sorte qu’on ne pouvait manquer les deux petits trous de l’autre côté de son crâne.
    Derrière lui, au fond de l’alcôve, la jeune fille était nue. Du fait de la lumière laiteuse qui régnait dans la cabine, on aurait dit que son corps était couvert d’une fine poudre blanche. Elle avait des contusions virant au bleu à la gorge, des morsures sur la poitrine et des ecchymoses aux poignets.
    Emilia Farsetti ouvrit grande la bouche, mais il n’en sortit qu’un misérable couac. « Grand Dieu, pensa-t-elle, je rêve ! Il faudrait que je me pince pour me réveiller. » Pourtant, elle n’en fit rien. Au lieu de cela, elle ferma les yeux et se mit à compter avec lenteur. Une fois arrivée à dix, elle avait pris sa décision.
    La comtesse retint son souffle et s’approcha du bureau. Il y avait là un encrier, un porte-plume, un journal étranger et deux enveloppes. L’une était relevée d’une couronne dorée dans un coin, l’autre était grande et marron – pas assez grande néanmoins pour ne pas tenir sous un tablier. Emilia Farsetti tendit l’oreille pour vérifier que personne n’était dans le couloir. Comme tout était silencieux, elle glissa les deux enveloppes dans la ceinture de sa jupe. Puis elle se mit à hurler. Ce cri sortit tout droit de son diaphragme et n’eut pas de mal à s’engouffrer dans les moindres recoins du bateau.
    Sous l’effet de la surprise, le capitaine Landrini renversa son café et le steward en second, un nain bossu aux grands yeux marron répondant au nom de Putz, en fit tomber le plateau qu’il s’apprêtait à rapporter en cuisine.
    En déboulant dans la cabine – Putz en tête, puis Landrini, ensuite le chef steward Moosbrugger et enfin un matelot qui avait abandonné le pont avant où il était en train d’enlever la neige à la pelle –, ils découvrirent Emilia Farsetti agenouillée sur le sol. Elle criait si fort que les nouveaux venus ne virent pas tout de suite le vieil homme et la jeune femme dans l’alcôve.
    1 - Place (ancien champ). ( N.d.T. )

    2 - Rive (ici des Schiavoni, ou des Esclavons). ( N.d.T. )

2
    Ce fut le matelot qui les aperçut en premier. Mais comme il bégayait et que personne ne le comprenait, il fut contraint de saisir le capitaine par la manche et de le tirer vers le lit.
    — Là ! s’exclama-t-il.
    C’était le seul mot qu’il parvenait à prononcer sans peine. En temps normal, il aurait au moins essayé de dire quelque chose du genre : « Mon commandant, deux cadavres gisent sur le lit » ou bien « Je crois que cette odeur pénétrante provient de la niche ». Mais compte tenu des circonstances, il était hors de question qu’il achève une phrase.
    Le capitaine, qui commençait à se demander si le cauchemar qu’il avait vécu au cours des dix dernières heures prendrait jamais fin, tourna la tête. Un nuage sombre passa devant ses yeux, puis les détails se dégagèrent avec une merveilleuse netteté : l’homme couché sur le dos avec les deux impacts dans la tempe et, derrière lui, la jeune femme, tout aussi inerte, la poitrine couverte de morsures, la gorge marquée de traces d’étranglement. Soudain, Landrini eut la désagréable sensation de se retrouver dans le vide, comme si l’air de la cabine avait été aspiré et que les cloisons pouvaient à tout instant s’abattre vers l’intérieur. Sans le vouloir, il monta d’une octave :
    — Qui est cet homme ? Et cette femme ?
    Mon Dieu, à chaque fois qu’il s’énervait, sa voix partait dans les aigus ! Il détestait s’entendre parler ainsi. Mais Moosbrugger n’y prêta aucune attention. Il baissa les yeux vers le couple en pinçant les lèvres comme s’il évaluait les conséquences d’une faute de service.
    — Ce monsieur, finit-il par expliquer, est le conseiller aulique 1 Hummelhauser, de Vienne. Hier soir, il s’est encore répandu en éloges sur nos moules.
    Le chef steward s’était planté devant
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