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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits
Autoren: Gary Jennings
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une profonde note en vibrato, comme si la corde du plus gros luth du monde avait été raclée.
    — Mashallah ! lâcha Narine terrorisé, en bondissant sur ses pieds.
    Il se mit à courir comme un dératé sur le sable,
gagnant précipitamment la terre plus ferme de la piste où il fit une pause,
afin de secouer la poussière dont il était imprégné.
    Mon père, mon oncle et nos deux guides se battaient
les côtes de rire en le regardant, et l’un des Mongols fit :
    — Ces sables sont appelés luiing.
    — « Voix fracassantes », me traduisit
oncle Matteo. Nico et moi les avions déjà entendues en passant sur cette route.
Elles peuvent aussi, par grand vent, se mettre à pleurer, et leurs lamentations
sont encore plus accentuées l’hiver, lorsque ces sables sont gelés.
    C’était en soi un phénomène assez merveilleux, il faut
bien le reconnaître. Mais un seulement parmi tant d’autres, sur cette terre,
comme le chant des oiseaux à l’aube, le son des clochettes des chameaux, le
parfum du jasmin ou celui de ces fleurs sauvages à la corolle d’or, si
déterminées à fleurir qu’elles jetaient avec force leur semence au vent, au
petit bonheur...
    Ce monde est beau, me dis-je, et la vie y est douce,
que l’on compte sur un paradis ou qu’on craigne un enfer à son terme. Je ne
pouvais que plaindre des gens aussi pathétiques que ces bouddhistes qui
jugeaient leur vie sur Terre si terrible, si misérable et si répugnante que
leur vœu le plus cher était de fuir dans l’oubli. Pas moi, non, jamais. Si
j’avais dû n’accepter qu’une des croyances bouddhistes, cela aurait été celle
des renaissances répétées en ce bas monde, même s’il avait fallu qu’entre deux
réincarnations humaines je ne fusse qu’un misérable pou ou un rameau de jasmin.
Oui, pensais-je. Si je le pouvais, je continuerais de vivre éternellement.

 
46
    Le sol était toujours gris, mais il s’assombrissait à
mesure que nous progressions vers l’est, fonçant jusqu’à devenir d’un noir
véritable – du sable et des cailloux noirs et glissants sur un lit de roches
noires –, car nous étions entrés dans un nouveau désert, celui-ci trop large et
étendu pour que la route de la soie pût le contourner. Les Mongols l’appelaient
le désert de Gobi, les Han le Sha-mo, ces deux mots désignant un désert
de cette composition un peu particulière où tout le sable avait été emporté par
les vents, et dont ne subsistaient que les particules les plus lourdes, toutes
d’un noir de jais. Il en résultait un paysage presque extraterrestre, constitué
non plus de cailloux, de pierres et de rochers, mais d’un métal encore plus
lourd. Au soleil, la moindre colline noire, le moindre éboulis, la plus petite
crête scintillaient d’un éclat brillant et lisse comme s’ils avaient été polis
à la pierre à aiguiser. Les seules plantes visibles étaient de rares panaches
décolorés d’herbe à chameau et quelques fines touffes d’une plante incolore
semblable à du fil de fer.
    Les voyageurs nomment également le désert de Gobi le
Grand Silence, parce que toute conversation inférieure au niveau sonore du cri
y demeure inaudible, comme le cliquetis des pierres noires qui s’éboulent et
roulent sous les pieds, les déchirants hennissements des chevaux aux sabots
douloureux et même les éternels gémissements et grognements de ce râleur de
Narine : tous ces bruits sont masqués, comme absorbés dans le hurlement
infini du vent. Celui-ci y souffle en effet trois cent soixante jours par an,
et, en ces derniers jours d’été, son souffle était aussi chaud que si quelqu’un
avait ouvert en grand les immenses fourneaux enfouis au plus profond des enfers
de Satan.
    La ville suivante où nous arrivâmes, Anxi, est sans
doute la plus désolée de Kithai. C’était un simple amas de cabanes minables et
de boutiques qui fournissaient aux caravanes de passage les commodités
nécessaires, de modestes auberges équipées d’étables, toutes édifiées en bois
dont la peinture avait disparu ou en briques de terre cuite grêlées et usées
par les incessants vents de sable. La seule raison d’exister de cette ville
était que là se rejoignaient, à l’extrémité du redoutable désert de Gobi, les
deux branches de la route de la soie qui contournent par le nord et le sud le
Takla Makan. Elles ne formeraient désormais plus qu’une voie unique menant, à
d’interminables li vers l’est, jusqu’à la
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