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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits
Autoren: Gary Jennings
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Un bouddhiste n’est pas animé,
comme nous pouvons l’être, du désir de mériter pour son âme une existence
éternelle de bonheur dans la quiétude des demeures célestes. Il n’aspire à rien
d’autre qu’à une extinction absolue ou, comme le précisa le moine, à « une
communion avec l’Infini ». Il admettait que sa religion n’avait supprimé
ni les paradisiaques Terres pures, ni ces Horribles Terres qui n’étaient pas
loin de ressembler à l’enfer. Mais il maintenait que ce n’étaient (comme nos
limbes ou notre purgatoire) que des états transitoires, des étapes
intermédiaires entre renaissances vers le Nirvana. Et que, parvenue à cette
destination ultime, l’âme était bel et bien éliminée, soufflée telle une
chandelle. Jamais plus elle ne reverrait la Terre, pas plus qu’elle ne jouirait
d’un paradis ou n’endurerait un enfer. Plus rien !
    Tandis que notre convoi avait repris sa progression
vers l’est, j’allais avoir amplement matière à revenir sur ces croyances, par
une journée merveilleusement propice à pareils sujets de réflexion.
    Nous avions quitté l’auberge très tôt, à l’heure où
les oiseaux, encore à peine éveillés, font entendre leurs tout premiers pépiements,
gazouillis et stridulations, si aigus et nombreux qu’on eût cru le grésillement
de l’huile dans une gigantesque poêle. Après quoi les colombes, moins
matinales, s’animèrent à leur tour et se mirent à murmurer leurs plaintes
discrètes, comme empreintes de regrets, mais si innombrables là aussi que leur
douce rumeur se mua progressivement en un feulement velouté. Une autre
caravane, impressionnante, partait en même temps que nous ce matin-là et, dans
ces régions, les chameaux portent leurs clochettes non autour de leur encolure
mais attachées aux genoux. Ils s’éloignaient donc à grandes enjambées, dans un
joyeux concert de sons métalliques qui semblaient tinter, cliqueter et
tintinnabuler du bonheur de se remettre en marche. Je chevauchais à côté d’une
voiture de ce convoi dont l’une des hautes roues avait arraché quelque part une
gerbe de jasmin demeurée prise dans ses rayons. Ainsi, chaque fois que ses
rameaux en fleur parvenaient à hauteur de mes narines, j’aspirais avec
délectation une douce bouffée de leur parfum.
    La route donnant issue au bassin de Dunhuang nous
conduisit d’abord le long d’une ravine creusée entre les parois aux multiples
cavernes, laquelle déboucha dans une vallée verdoyante semée d’arbres, de
champs et de fleurs sauvages. Ce devait être notre dernière oasis avant
longtemps. Tandis que nous traversions cette vallée, je pus découvrir un
spectacle si beau qu’il est resté gravé dans ma mémoire. À quelque distance de
là, un panache de fumée jaune doré s’élevait dans la brise du matin, et il nous
frappa tous, chacun s’interrogeant sur son origine. S’il provenait du feu de
camp de quelque caravane, que pouvaient-ils donc brûler pour donner à ce nuage
de fumée une couleur aussi étrange ? Cette poudroyante effluence s’élevait
toujours en volutes tourbillonnantes. Parvenus auprès d’elle, nous constatâmes
avec surprise qu’il ne s’agissait nullement de fumée. Sur l’une des pentes de
la vallée s’étendait une prairie entièrement couverte de fleurs, dont les
myriades de corolles mordorées exhalaient avec exubérance, dans la douce brise
qui balayait la route de la soie, une vaste nuée de pollen qu’elle dispersait
sur d’autres versants. Nous chevauchâmes à travers cet amas de simili fumée et,
lorsque nous en sortîmes, nous étincelions aux rayons du soleil, ainsi que nos
chevaux, comme si nous venions d’être recouverts de feuilles d’or.
    Autre chose. De la vallée, nous débouchâmes sur une
région de dunes ondulantes faites d’un sable qui n’avait plus rien de sa teinte
de chameau ou de lion, puisqu’il était d’un gris argent foncé, comme du métal
réduit en poudre. Narine, qui était descendu de sa monture pour se dégourdir
les jambes, avait gravi l’une de ces dunes de sable gris à la recherche d’un
peu de tranquillité. Or, à son intense surprise (tout comme à la mienne), ce
sable aboyait tel un chien hargneux sous chacun de ses pas. Il n’émit
aucun bruit particulier pendant que Narine se soulageait dessus, mais lorsqu’il
se tourna pour redescendre, son pied dérapa et il glissa tout le long de la
pente accompagné d’un joli son musical et puissant,
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