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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits
Autoren: Gary Jennings
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une
réputation à maintenir, et moi un nom de famille à honorer. Si tu étais, toi,
le digne Rustichello de Pise, j’étais pour ma part un membre de l’auguste
famille des Polo de Venise. Tu avais déjà une belle renommée de romancier
courtois, avec tes relations des classiques de la chevalerie que sont Tristan
et Iseult, Lancelot et Guenièvre, Ami et Amile. J’étais, de mon côté, ainsi que
tu m’as présenté dans le livre, un représentant de ces « sages et nobles
citoyens de Venise ». Nous convînmes donc que nos pages ne contiendraient
que celles de mes histoires qui pourraient se lire sans que nulle rougeur monte
au front, sans que le moindre scrupule vienne tourmenter la conscience, et qui,
de ce fait, pourraient être lues sans offenser les diverses sensibilités
chrétiennes, fussent-elles celles de jeunes filles ou de nonnes.
    De plus, nous décidâmes de laisser de côté tout ce qui
aurait pu choquer les croyances d’un lecteur un tant soit peu casanier. Je nous
revois encore en train de débattre, par exemple, de l’opportunité d’inclure mes
découvertes de la pierre qui brûle ou de l’étoffe qui ne peut le faire. De ce
fait, nombre des plus merveilleux incidents que j’avais pu vivre au cours de
mes voyages furent pour ainsi dire laissés pour compte, rejetés sur le bas-côté
de mes pérégrinations. Nous dédaignâmes donc sciemment l’incroyable, le
trivial, le scandaleux, aussi. Or voici qu’à présent, sans toutefois y hasarder
la noblesse de mon nom, tu envisages de combler ces vides ?
    Ton nouveau protagoniste ne se nommerait donc plus
messire Marco mais monsieur Beauduin, et nous lèverions l’ancre de Cherbourg,
et non plus de Venise. Pour tout le reste cependant, il serait moi. Il
endurerait mes expériences, éprouverait mes plaisirs, tout cela à condition que
je parvienne à rafraîchir ta mémoire des nombreuses histoires que nous n’avions
point relatées jusqu’à présent.
    La tentation est immense, c’est certain ! Ce
serait une façon de revivre ces jours (et ces nuits) une nouvelle fois, et
c’est une chose après laquelle j’ai longtemps soupiré. J’ai toujours eu l’ardent
désir, le sais-tu, de retourner voyager vers l’Extrême-Orient. Mais non, tu ne
pourrais l’avoir su. Je n’en ai jamais parlé, fut-ce à mon plus intime cercle
familial. C’était là un rêve auquel je tenais trop, comme à un trésor que l’on
ne veut partager...
    Oui, j’ai un temps caressé l’espoir d’y repartir. Mais
lorsque je fus relâché de Gênes et que je rentrai à Venise, le commerce
familial requit toute mon attention, ce qui me fît hésiter sur un nouveau
départ. C’est alors que je fis la rencontre de Donata, qui devint ma femme. Et
alors que j’hésitais encore, une fille nous arriva. Celle-ci constitua, bien
entendu, un nouveau motif d’hésitation, et pendant que j’hésitais, il nous en
vint une seconde, puis bientôt une troisième. Ainsi, alors que je me trouvais
toujours une nouvelle raison pour hésiter, je me découvris un jour vieux.
    Vieux ! C’était inconcevable ! Lorsque je me
replonge dans notre livre, Luigi, je me revois tout d’abord enfant, puis jeune
homme et, au bout d’un moment, adulte, mais même à l’extrême fin de l’histoire
je suis encore dans la force de l’âge. Tandis qu’à présent, lorsque je me
regarde dans le miroir, je ne vois plus qu’un étranger chenu, sapé, affaissé et
blêmi, affaibli par la rouille corrosive de ses soixante-cinq ans. Je murmure :
« Ce vieillard ne partira évidemment plus en voyage », avant de
comprendre que ce vieil homme, c’est Marco Polo.
    Tu le vois, ta lettre m’est arrivée dans un moment de
grande vulnérabilité. Et ta suggestion que je contribue à l’écriture d’un
nouveau livre est une opportunité que je ne laisserai pas passer. Si je ne puis
revivre ce que j’ai fait jadis, je puis au moins me le remémorer au fur et à
mesure de ma narration, et même le savourer en toute impunité, sous le paravent
de ce Beauduin que tu proposes, afin de me déguiser. Tu pourrais d’ailleurs te
demander la raison de ma bonne grâce à accepter un tel travestissement
d’identité, et t’interroger sur la cause de ma remarque au sujet du précédent
livre, concernant la gloire imméritée et l’injuste réputation qu’il a pu me
valoir. J’y reviendrai.
    Je n’ai jamais prétendu avoir été le premier homme à
voyager depuis l’Occident jusqu’à
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