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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits
Autoren: Gary Jennings
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plus ardent. Ils possèdent aussi de grands temples appelés potkada et
des monastères nommés lamaseries, aussi richement dotés que meublés. Je
soupçonne aussi de nombreux bouddhistes de détenir beaucoup plus d’objets
personnels que les quelques-uns spécifiés par le Bouddha : une natte pour
dormir, trois chiffons pour se vêtir, un couteau, une aiguille, un bol avec
lequel mendier un maigre et unique repas par jour, et une passoire avec
laquelle débarrasser l’eau que l’on boit de tous les insectes imprudents et
autres têtards qui auraient pu s’y fourvoyer, afin de ne pas les avaler.
    Ce dernier instrument illustrant l’une des règles les
plus fondamentales du bouddhisme : éviter que toute créature vivante, si
humble et éphémère fut-elle, pût être tuée, délibérément ou même
accidentellement. Cela n’a pourtant rien de commun avec le vœu de tout chrétien
de faire le bien afin de mériter le paradis après la mort. Un bouddhiste croit
que tout homme ne meurt que pour renaître dans la peau d’un homme meilleur qui
a avancé sur la voie de l’Éveil. Parallèlement, il pense que l’homme qui a fait
le mal est voué à renaître dans une incarnation de grade inférieur, animal,
oiseau, poisson ou insecte. C’est la raison pour laquelle un bouddhiste ne doit
jamais rien tuer. Le moindre atome de vie de la Création pouvant être une âme
en train d’escalader l’échelle de l’Éveil, un bouddhiste n’osera pas même
écraser un pou, craignant que ce pût être son regretté grand-père, rétrogradé
depuis sa mort, ou son propre petit-fils, en route vers sa future naissance.
    Tout chrétien serait sans doute admiratif du respect
que voue le bouddhiste à la vie, nonobstant le grotesque manque de logique qui
peut y présider, s’il n’y avait à tout cela deux inévitables résultats. Le
premier est que tout bouddhiste, qu’il soit homme, femme ou enfant, n’est qu’un
nid grouillant de poux et de mouches, et je ne trouvai cette vermine que trop
décidée à risquer son Éveil en émigrant sur d’incroyants chrétiens dans mon
genre. Le second est que, bien sûr, un bouddhiste ne peut pas manger la moindre
chair animale. Le dévot se restreint au riz bouilli et à l’eau, et le croyant
plus libéral ne va guère plus loin que consommer du lait, des fruits ou des
légumes. C’est donc ce à quoi nous eûmes droit, nous autres voyageurs, dans
notre auberge de Dunhuang : à l’heure du dîner, feuilles de palmier
bouillies, cirres, thé clair et crèmes fadasses, à l’heure du coucher, mouches,
tiques, punaises et poux.
    — Il vécut ici naguère, à Dunhuang, me raconta
mon moine han sur un ton de profonde révérence, un lama d’une sainteté sans
pareille. Un homme si pur qu’il ne s’alimentait que de riz cru, sans
même le faire bouillir. Afin de pousser son humilité plus loin encore, il
portait une chaîne de fer serrée autour de son ventre rétréci. Le frottement de
la chaîne rouillée sur sa peau provoqua une plaie qui devint purulente et
attira quantité d’asticots. Or, si d’aventure l’un de ces vers rampants venait
à tomber sur le sol, le lama se baissait avec amour pour le ramasser et lui
demandait : « Pourquoi fuis-tu, bien-aimé ? N’as-tu donc pas
assez à manger ? » Et il le replaçait tendrement dans la plus juteuse
partie de la plaie.
    Cette histoire instructive n’encouragea guère mon
humilité, mais elle diminua d’autant mon appétit, de sorte qu’une fois de
retour à l’auberge je fus tout à fait capable de m’abstenir de la blafarde
bouillie du repas vespéral. Le moine n’en termina pas moins :
    — Le lama finit par devenir une plaie vivante,
qui le dévora complètement, et il en mourut. Nous l’admirons et l’envions tous,
car il avait sans doute progressé loin sur la voie de l’Eveil.
    — Je l’espère sincèrement, répondis-je. Mais, au
fait, qu’arrive-t-il au bout de ce chemin ? L’Éveillé accède-t-il alors au
paradis ?
    — Rien d’aussi grossier, répliqua l’ubashi. Tout
au plus peut-on espérer, au terme d’une suite ininterrompue de renaissances et
de vies successives remplies d’efforts pour s’élever, être simplement libéré de
la nécessité de vivre. Se retrouver débarrassé de cet esclavage des besoins
humains, de ces désirs, ces passions, ces chagrins et ces souffrances. Nous
espérons atteindre le Nirvana, qui veut dire l’« éclatement ».
    Il ne plaisantait pas.
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