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Les turbulences d'une grande famille

Les turbulences d'une grande famille

Titel: Les turbulences d'une grande famille
Autoren: Henri Troyat
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rendait dans les magasins, construisait des maisons confortables pour les ouvriers bien pensants, aidait l'Institut Pasteur dans ses recherches, subventionnait l'expédition Charcot au pôle Sud et laissait par testament cent vingt millions de francs à sa famille. Si elle ne prévoyait rien pour les bonnes œuvres après sa disparition, c'était, disait-on, afin d'apprendre aux assistés qu'un jour ou l'autre ils devraient se passer de l'assistance.
    Quand la nouvelle du décès d'Amicie parvint à Jacques, dans sa maison de Long Island, il n'était guère capable de s'en émouvoir, ni même d'y prêter attention. Cependant, profitant de quelque moment de relative lucidité, il télégraphia de New York,le 11 mai 1917, à sa sœur, la comtesse de Fels, au château de Voisins : « Apprends seulement aujourd'hui à mon retour d'une courte absence la triste nouvelle. Mon chagrin est extrême. — Jacques Lebaudy. » Pas un mot de plus. La mort de sa mère l'affectait moins que le frôlement furtif d'une mouche sur sa joue. Que venait-on lui parler de ces histoires de famille ! Il avait tout quitté en quittant la France. Le seul effort d'un rappel des réalités françaises l'avait épuisé. Assailli de dépêches et de lettres par les notaires parisiens impatients de recevoir sa procuration pour pouvoir régler les questions d'héritage, il se contentait de répondre qu'il n'était pas pressé et qu'il donnerait « en temps voulu » des instructions aux conseillers chargés de le représenter. Et, de fait, il n'avait pas la tête, en ce moment, à discuter des modalités d'une succession, fût-elle mirobolante. La cinquantaine bien sonnée, était-ce le démon de midi qui le tourmentait ? Tout à coup, l'odeur de l'argent l'attirait moins que l'odeur de la femme. Retombé en pleine démence, l'ex-empereur du Sahara était obsédé par la composition et l'organisation de son « harem ». Non content de tyrannisersa maîtresse, il venait de découvrir que sa fille Jacqueline, qui allait avoir quatorze ans, ne manquait pas de charme. Une vraie petite vierge, à la fois gracile et appétissante, à la peau plus lisse et moins « ambrée » que celle d'Augustine, aux lèvres fraîches comme un fruit et au regard innocent. Tandis que l'Amérique, électrisée, vibrait aux exploits de son armée enfin engagée dans les combats aux côtés des Alliés, Jacques se déclarait fasciné par une nouvelle « Dulcinée ». Mais cette Dulcinée-là, malgré son âge tendre, devait se préparer, comme sa mère autrefois, disait-il, à satisfaire les désirs du maître. Estimant que les interdits de l'inceste, s'ils arrêtent le vulgaire au seuil du péché, ne comptent pas pour un empereur, il proclamait à tous les échos qu'il ne se calmerait qu'après avoir accompli avec la gamine l'acte de chair grâce auquel il l'avait jadis procréée. Face à une Augustine glacée d'effroi, il hurlait, les yeux exorbités :
    « — L'impératrice ne vaut plus rien ! Je n'en veux pas ! Entends-tu, Augustine ? C'est la princesse qu'il me faut ! Elle seule maintenant sera ma reine ! L'empereur ne saurait secontenter des charmes surannés de sa sultane ! C'est la princesse qu'il me faut 4 . »
    Profitant d'un bref répit dans la gesticulation et les vociférations de Jacques, Augustine courut implorer la protection du shérif du village. Mais celui-ci hésitait à intervenir et se retranchait derrière l'avis des médecins du sanatorium de Lowden qui avaient remis Jacques en liberté.
    « — Il a été reconnu sain d'esprit par les médecins, disait-il. Demandez un nouvel examen. Tant qu'il n'y a pas eu un délit caractérisé, je ne peux rien faire ! »
    Rentrée chez elle, Augustine se résigna à organiser la protection de Jacqueline avec les moyens dont elle disposait. La gouvernante était une femme à poigne, prête à comprendre et à aider son infortunée patronne. Elles se partagèrent la charge de surveiller les abords de la chambre, la nuit, durant le sommeil de Jacqueline. Dès que l'enfant était couchée, elles barricadaient sa porte et serelayaient sur le seuil, l'une montant la garde pendant que l'autre prenait du repos.
    L'armistice de 1918, qui fut salué par une explosion de joie dans tous les pays en guerre, n'apporta aucune détente à Phoenix Lodge. Jacques Lebaudy menaçait toujours de répudier sa vieille maîtresse qui ne le séduisait plus et de violer sa fille qui le séduisait chaque jour
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