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Les turbulences d'une grande famille

Les turbulences d'une grande famille

Titel: Les turbulences d'une grande famille
Autoren: Henri Troyat
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I
    Tandis que la majorité des épouses, même revenues depuis longtemps de leurs illusions, continuent d'applaudir au succès du mari dans ses activités professionnelles, Mme Jules Lebaudy, née Amicie Piou, constate avec amertume que plus le sien réussit dans les affaires et moins elle est disposée à s'en réjouir. Pourtant, quand il a demandé sa main, en 1863, alors qu'elle avait seize ans, elle a estimé qu'elle avait beaucoup de chance d'être distinguée par un homme fait, qui avait le double de son âge, une apparence robuste et une fortune de sept à huit millions honnêtement gagnés à la Bourse. D'ailleurs, éduquée dans le respect des traditions bourgeoises, elle ne concevait pas de contrecarrer la volonté de ses parents. Son père surtout luien imposait. Après avoir été procureur général à la cour d'appel de Lyon, il s'était vu élever à la présidence de la cour de Toulouse. Puisque ce symbole vivant de la justice considérait que le nommé Jules Lebaudy était digne d'épouser sa fille, Amicie ne pouvait que s'incliner et remercier. Certes, elle pensait, à part soi, que le prétendant, avec son début d'embonpoint, son visage irrégulier, son sourire rusé, ses petits yeux de renard profondément enfoncés dans l'orbite, ne correspondait pas à l'image du séducteur romantique dont s'enchantaient ses rêves d'adolescente. Elle l'eût préféré plus jeune, moins cassant, moins sarcastique, et doté de cette suprême élégance de manières qu'elle avait eu l'occasion d'admirer chez les personnes de noble condition. Mais elle voulait croire, comme elle l'avait entendu dire très souvent à sa mère, que c'était à la femme qu'incombait le soin de façonner le caractère du mari. Elle attendait donc avec espoir que celui-ci l'emmenât, dès le lendemain de la cérémonie, vivre chez lui, à Paris, dans le luxe, le scintillement et les fastes de la haute société. Et, de fait, tout se passa selon la rigueur et la pompe désirables. Après labénédiction nuptiale par l'archevêque de Toulouse, le couple était parti pour un voyage de bonheur officiel en Italie. Malheureusement, il avait fallu s'arrêter à Nîmes et rebrousser chemin, parce que Jules Lebaudy était rappelé à Paris pour y traiter une affaire importante, qui ne souffrait pas de retard. Ce jour-là, Amicie avait deviné que son vrai plaisir, Jules Lebaudy ne le trouverait jamais auprès d'elle, mais qu'il continuerait à le chercher dans les officines de l'intrigue et de l'argent. De coup de Bourse en spéculation immobilière sur les terrains à bâtir dans la ville, il s'était vite enrichi de quelques flamboyants millions. A chaque performance financière, il matérialisait son succès en achetant un bijou à sa femme. Et il insistait pour qu'elle portât ces nouvelles acquisitions quand il leur arrivait de sortir dans le monde. Elle en était à la fois flattée et confuse. A ces moments, elle se souvenait des joueurs de billard qu'elle avait vus autrefois indiquant les points gagnants sur un marqueur automatique. Malgré la satisfaction qu'elle éprouvait à porter de jolies robes et des parures de prix, elle refusait d'être avant tout, pour Jules Lebaudy, un tableau d'affichage. Parlant deson mariage, elle disait même avec dépit : « Il m'a choisie à cause de ma jeunesse, comme on choisit une pouliche dans un haras ! » En échange des cadeaux qu'elle recevait régulièrement de lui quand il était dans une « bonne passe », selon son expression, elle lui en offrit bientôt un d'une tout autre valeur. Deux ans après leur mariage, elle donna le jour à une fille, Jeanne. A présent, les Lebaudy avaient une loge à l'Opéra, leur appartement était somptueusement décoré et meublé, les invitations pleuvaient sur ce couple aimé du ciel et de la Bourse, et Amicie dépensait sans compter pour ses toilettes. Sans être belle, elle avait des formes appétissantes, une pâleur songeuse et une chevelure d'un blond ardent qui forçait l'attention, sinon le désir des hommes. Très vite, elle avait pris le rythme et le ton en vogue dans la capitale. Sa passion de l'éclat, de la mode et du divertissement semblait inépuisable. Chaque soir était pour elle un prétexte de fête. Alors elle envoyait aux quatre coins de Paris des cartons d'invitation ainsi libellés : Mme Lebaudy sera chez elle, tel jour, à 10 heures. On dansera. Parfois, cette annonce imprimée était suivied'une recommandation manuscrite :
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