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Les turbulences d'une grande famille

Les turbulences d'une grande famille

Titel: Les turbulences d'une grande famille
Autoren: Henri Troyat
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s'était mis en tête de les asphyxier toutes deux, ou même d'incendier la maison, Augustine fut saisie de panique. Entraînant sa fille, elle se dirigea vers une autre porte qui, de sa chambre, menait à un escalier intérieur. Tandis qu'elles gravissaient les marches, Jacques Lebaudy avait déjà enfoncé le vantail d'un coup d'épaule et se ruait sur leurs talons. Arrivée sur le palier du deuxième étage, Augustine fit face au dément qui la visait avec son revolver. Qui tira le premier ? Elle affirmera toujours que ce fut lui. En tout cas, elle ne perdit pas son sang-froid durant ces secondes décisives. Serrant dans ses doigts la petite arme si élégante que le shérif lui avait confiée, elle appuya sur la détente. A cinq reprises. Comme à travers les brumes d'un cauchemar, elle lut dans le regard de Jacques le passage de la colère à l'horreur et à l'incrédulité. Il chancela, tomba à la renverse et son corps inerte, à la gandoura retroussée, dévala l'escalier jusque dans le vestibule 5 .
    Une dépêche télégraphique de New York, datée du 12 janvier 1919, annonça à l'Europe la fin tragique de l'ex-empereur du Sahara, qui avait eu le tort de troquer des montagnes de sucre contre des châteaux de sable.
    Arrêtée aussitôt après le meurtre, Augustine, tout ensemble prostrée et soulagée, fut gardée à vue pendant six jours à Phoenix Lodge. Il fallut attendre la fin de l'autopsie légale pour procéder à l'inhumation, le 17 janvier, derrière l'église de Saint Bridget, à Westbury, de Jacques Lebaudy, que les journalistes s'obstinaient à désigner comme l'ex-empereur du Sahara. De rares reporters assistèrent à la cérémonie. Augustine et sa fille ne furent pas autorisées à voir ensevelir leur tortionnaire vénéré. Le father romain William F. McGinnis prononça quelques mots au-dessus de sa tombe : « Quoique j'estime que le défunt a probablement violé toutes les lois de l'Église, dit-il, je suis convaincu qu'il a été vraiment insensé pendant un certain nombre d'années ; c'est pourquoi je ne m'oppose pas à ce qu'il soit inhumé dans un terrain consacré. »
    Le jour même des obsèques, Augustine comparut devant le procureur du district quil'interrogea avec ménagement et l'invita à présenter sa défense. Elle était si bouleversée qu'après s'être écriée à plusieurs reprises : « Je ne suis pas coupable ! » elle s'évanouit. Le magistrat conclut à un homicide volontaire, mais avec l'excuse de la légitime défense, et renvoya Augustine devant le grand jury d'accusation. La loi de l'État de New York ne permettant pas la mise en liberté sous caution, elle eut encore à subir un temps de détention très douce. Elle tremblait à l'idée d'affronter le tribunal. Or, d'emblée, le jury refusa de la poursuivre sous l'inculpation de meurtre. Le 22 janvier, soit dix jours après la mort de Jacques Lebaudy, elle était relaxée, et la mémoire du disparu se voyait entachée à jamais des qualificatifs de bourreau et de père incestueux.
    Quand elle regagna Phoenix Lodge avec Jacqueline, son premier soin fut de tirer au clair sa position légale et celle de son enfant. Jacqueline n'avait pas été reconnue officiellement par Jacques Lebaudy et Augustine était la compagne et non l'épouse du défunt. Néanmoins, en tant que mère, elle était tutrice et administratrice des biens de sa fille mineure. Dès le début, cette situation équivoquesuscita de grandes réserves chez les cohéritiers Lebaudy. A qui devait aller le magot de Jacques, lequel, bien que fou, disposait d'une assez grosse fortune ? Pour traiter l'affaire avec les survivants du clan Lebaudy, Augustine s'adressa à la cour du surrogate, juridiction spéciale où siégeait un magistrat unique, et se fit représenter par une équipe d'avocats grassement rétribués. Avocats américains et français, hommes d'affaires accrédités par l'une et l'autre partie, administrateurs et subrogés tuteurs se succédèrent en d'interminables discussions dans le bureau du surrogate. Enfin, on aboutit à un compromis qu'Augustine elle-même avait proposé : les familles de Fels de Heffingen ainsi que les collatéraux Lebaudy accepteraient la moitié de la fortune considérable laissée par Jacques, l'autre moitié étant réservée à la compagne et à la fille du défunt. Le surrogate leur accordait en outre, à toutes deux, une pension alimentaire assez coquette.
    Cependant, ce qui importait à Augustine,
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