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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés
Autoren: Pierre Naudin
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l’épaule d’Ogier :
    — As-tu peur ?
    — Pour être franc : point trop.
    De ces deux hommes, le garçon ne savait auquel accorder sa préférence. L’un était assuré, remuant, présomptueux sans malice : son oncle ; l’autre prudent et placide. Quelle que fût l’opposition de leurs caractères, il était fier et rassuré que ces guerriers aux tabards pourpres – comme rougis par des sangs anciens –, coiffés d’une cervelière à nasal au bord clouté de cuivre, l’eussent pris en affection.
    — Laisse agir ces quatre larrons, Godefroy, insista Guillaume en lançant le trognon de pomme par-dessus bord. Où que ce soit, une fois sur le sol d’Angleterre, nous dirons notre mot !
    Blanquefort approuva d’un mouvement du menton le seigneur qu’il servait certainement depuis ses enfances, tandis qu’Ogier, fasciné par la forêt de mâts prête à se répandre sur l’eau, se demandait s’il survivrait à cette vogue inquiétante.
    Un géant blond d’une trentaine d’années, moustachu et vêtu en bourgeois, descendait l’escalier du château de poupe. Son courroux s’amoindrit lorsqu’il reconnut le seigneur de Gratot :
    — Ils prétendent aller jusqu’aux îles pour s’assurer de n’être point pris à revers… Aurigny, Jersey et surtout Guernesey… Qu’en penses-tu, Argouges ?
    Il attendait une réponse qui corroborât ses craintes et le confortât dans son indignation. Tout en l’examinant, Ogier se dit qu’il était capable d’affronter à lui seul trois ou quatre Goddons.
    — Nous n’avons rien à faire en ces îles, dit Godefroy d’Argouges. Guernesey me paraît française pour longtemps [30] . Elle commande à toutes les autres.
    Le baron regarda Guillaume et son sénéchal aimablement, puis annonça :
    — Nous allons appareiller. Le mandement vient d’en être donné par messire Blainville avec l’assentiment de Bahuchet… Dieu vous ait en Sa sainte garde !
    Et l’homme courroucé partit d’un pas pesant.
    — Qui est-ce, Père ?
    — Je ne connais que son nom : Pierre d’Estrelant. Il est de Normandie, mais je ne sais quelle nef est sienne.
    — C’est une espèce de géant.
    — C’est vrai. Ses amis l’ont surnommé Hercule… C’est un Neptune qu’il nous faudrait.
    Le seigneur de Gratot se tourna vers son beau-frère. Sa pâleur, sa nervosité s’étaient aggravées :
    — Nous devons nous préparer à moult déceptions.
    Blainville, Kieret et Bahuchet vont nous mener à hue et à dia pour tenter d’obtenir des succès qu’ils s’imaginent aisés dans leurs petites têtes. En nous aventurant vers Guernesey [31] où les Goddons n’iront point, car ils sont résolus à passer en Flandre, nous risquons de manquer Édouard et ses navires lorsqu’ils quitteront les havres où ils ont coutume d’attendre des conditions favorables…
    Contre le mât central – l’arbre –, deux hommes liaient l’antenne par une drosse garnie de paillets de vieux cordages appelés mentelets et de morceaux de bois nommés bigots , de façon à former un collier de racage.
    — Tiens, fils, dit Godefroy d’Argouges, cette petite voile qu’on hisse à l’arrière, c’est le tersarol. Elle est pour le moment inutile. Sans doute est-ce Blainville qui a demandé qu’on la déploie… Ah ! nous sommes bien lotis avec des mariniers de cette espèce.
    — Laisse-les à leurs agissements, beau-frère, conseilla Guillaume avec lassitude. Débarquer chez l’ennemi, c’est bien ce que tu voulais ?
    — C’est ce que j’ai voulu il y a deux années. Et je n’étais point seul. On a congratulé nos mariniers après qu’ils eurent pris Guernesey. Pour moi, ce fut une petite victoire… Je dois même te dire que les pêcheurs goddons et les nôtres s’entendaient bien. Maintenant, ils se haïssent et se livrent à de petites guerres meurtrières dont, évidemment, nul ne parle… Notre Guillaume serait fou de rage s’il voyait ce qui se prépare.
    — Il a conquis l’Angleterre, certes, et il en fit ce grand pays qui nous emmerde !
    Godefroy d’Argouges acquiesça, mais Ogier vit que c’était du bout des lèvres. Il admirait le Grand Guillaume comme il admirait Rolf le Marcheur, idole des Normands de jadis.
    — Êtes-vous sûr, demanda Blanquefort, que la flotte d’Édouard va cingler vers la Flandre ?
    — Aussi sûr, Hugues, que je sens le poids d’Almire à mon flanc.
    — Nous enverrons toutes ces nefs par le fond… Tiens,
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