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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I
Autoren: Max Gallo
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Pourtant, la nourriture est corsée, le vin rugueux au palais – j’aime cette saveur poivrée et douce en même temps de certains crus du sud, trop paysans me dit-on. Que m’importe ! Ils me chauffent la tête et délient ma langue ! – et les femmes ont des accroche-cœurs noirs qui me paraissent toujours des invites.
    Il y a deux mois, à mon arrivée ici, j’ai été pris d’une brutale curiosité sexuelle ! Nouvelle pour moi ! Est-ce la présence de la guerre et de la mort, ces bombardements sur Barcelone, ces corps écrasés que je voyais et que je décrivais ? Je ne sais mais j’ai eu besoin de vivre avec avidité. Est-ce le fait aussi que je connais maintenant le jeu des mots et le jeu du monde : Chine, Allemagne, France, Espagne, navires, océans, j’ai dans ma tête autant de paysages qu’une mémoire en peut compter, et j’ai déjà écrit tant de phrases ! Bref, avec Bowler qui est resté ici quelques semaines pour le Washington Post, je me suis essayé au jeu des corps ! Mais je n’ai jamais encore osé transformer cette expérience en mots. Il faut pourtant que cela surgisse un jour, couvrant la page de sueurs et d’odeurs, de bouches et de lèvres.
    Nous avons beaucoup fréquenté avec Bowler les cafés des ramblas, remplis d’anarchistes – c’était avant les émeutes – et nous sommes rarement rentrés seuls ! J’ai découvert cet emportement qui colle deux corps l’un à l’autre, cette sueur qui les lie…
    Nous avons discuté de cela avec Tina. Elle me regardait, pleine d’ironie et plus j’avançais dans ces confidences et moins j’étais prêt à passer aux actes avec elle ! À plusieurs reprises j’ai touché sa jambe et chaque fois elle s’est dérobée. D’ailleurs j’étais d’une indifférence sexuelle qui m’inquiétait. Nous étions dans la même chambre et après tout nous étions là pour faire ensemble ce que je craignais de ne pouvoir faire et dont je parlais d’abondance ! Tina m’a appelé « bavard » avec tendresse et ironie. « Vous me faites penser, m’a-t-elle dit, à certains personnages de Gogol, ridicules et émouvants. » Finalement, finalement, de mot en mot, nous nous sommes retrouvés nus.
    Il faudrait que je poursuive ce récit. Mais ici je sens l’impuissance de mon écriture à exprimer ce que j’ai éprouvé. L’écriture s’arrête au sexe. À moins qu’elle ne le remplace !
    Ou alors il faudrait briser les phrases, écrire des mots cisaillés par le désir. D’ailleurs je sais que j’ai crié, et je me suis entendu crier. Cela faisait naître en moi un désir de rire, parce que ce cri était aussi instinctif que le mouvement de la poitrine qui se contracte et se dilate, sans qu’on la commande.
    Cri-respiration.
    Je sais aussi que Tina faisait rouler sa tête de droite à gauche sur l’oreiller, les yeux clos, avec une expression enfantine de douceur.
    Nous avons dormi. Le matin elle m’a secoué. « Vous m’avez fait peur, m’a-t-elle dit. Vous êtes froid comme un serpent quand vous dormez ! »
    Nous avons ri, déjeuné sur la terrasse de l’hôtel, au soleil. Rien du service d’un palace. L’hôtel est plein de blessés, de journalistes, peut-être d’espions franquistes. Chacun va aux cuisines chercher ce qu’il désire.
    Mais le café était chaud et fort, le pain frais. Il me semblait que je pouvais mourir sans regret. Des livres, une femme. Que demander de plus à la vie ? Pourquoi n’ai-je pas alors retenu Tina ? Ou ne suis-je pas parti avec elle ? J’ai été surpris par sa décision de quitter Barcelone qu’elle ne m’avait pas annoncée.
    Lié à mes obligations ou, en tout cas, elles m’ont servi de prétexte. J’avais dans l’après-midi rendez-vous avec l’un des chefs communistes qui ont dirigé la répression contre les anarchistes et qu’on dit membre important de l’Internationale. On devait venir me chercher pour me conduire à lui. Il tenait à me rencontrer pour m’exposer le point de vue communiste afin que j’en fasse état pour les lecteurs américains. Mais ne s’agit-il pas là d’excuses que je me donne ?
    La nuit avait été si violente pour moi que j’avais l’impression d’avoir perdu mon équilibre. Curieuse sensation ; son propre corps marche à côté de soi, une séparation entre deux parts de son être, perception de la dissociation due peut-être à la fatigue accumulée, aux journées passées sur le front depuis deux mois. Peur aussi
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