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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I
Autoren: Max Gallo
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dit, votre article Black Berlin a ouvert bien des yeux. » Soit. Je m’étonne toujours du pouvoir des mots, je mesure tellement l’écart qui sépare ce que je vois ou vis de ce que j’écris, que je suis souvent accablé par mon inaptitude à l’exprimer. Et pourtant on me lit. Continuons donc.
    J’ai longuement parlé avec Cordelier qui me paraît bien informé. Il est très pessimiste. Il m’a entraîné sur la terrasse de notre hôtel qui domine le port de Barcelone, m’a montré les croiseurs républicains à l’ancre, ceux qui ont débarqué les troupes communistes. Selon Cordelier, les oppositions entre communistes et anarchistes, entre paysans et ouvriers, petits-bourgeois et révolutionnaires sont le mal mortel de la République. Et aussi l’inaction des démocraties face à l’intervention des nazis et des fascistes qui soutiennent ouvertement Franco.
    J’ai écouté. Je partage son avis. Cordelier, avec son allure guindée de fonctionnaire français, a quelque chose de déroutant. Ses yeux peut-être, tristes et vifs à la fois. Ce n’est pas l’un de ces personnages tout d’une pièce, artificiel, fabriqué en série comme dirait Tina, mais un homme qui me semble déchiré. Un enthousiaste triste, un pessimiste actif.
    J’appartiens à ce type d’homme, selon Tina. Mais qu’est-ce qui l’emporte en moi, la tristesse ou l’enthousiasme, l’activité ou le pessimisme ?
    Barcelone, 27 juin 1937, 22 heures.
    Je reprends ce journal interrompu avant-hier soir – ou plutôt avant-hier matin car je suis rentré à l’hôtel vers deux heures.
    Tina D. était arrivée de Paris. Elle est repartie déjà. Et depuis je m’accuse de ne pas avoir quitté Barcelone avec elle ou bien de ne pas l’avoir retenue ici. Mais je suis toujours surpris par les femmes, si maladroit avec elles. Je voudrais rendre claires mes relations avec Tina, mais dès que je la vois, l’obscurité s’installe entre nous. Que se passe-t-il ? Je ne sais pas. Je parle. Elle se tait ou bien répond d’une phrase brève qui me montre qu’elle ne partage pas mon point de vue. Souvent aussi je me répète et elle m’interrompt pour, d’un sourire, m’indiquer qu’elle sait déjà tout cela.
    Au diable les femmes, au diable Tina D. !
    Il me semble que je ne suis bien qu’avec les mots. Je suis un « rêveur ». Et pourtant, je cours après le réel et le roman, au sens où il est œuvre d’imagination, ne m’a jamais vraiment intéressé.
    Je veux dire ma réalité, mes souvenirs, Jim, père, la blanchisserie Petersen.
    Nous avons passé une partie de la nuit à discuter avec Tina. Elle se moque de la guerre d’Espagne. Ou plutôt, puisqu’elle a compris ce qu’elle signifie, elle ne s’y intéresse déjà plus. Elle m’a dit, et j’aimais la moue douloureuse qui crispait son visage : « Perdue cette guerre, perdue, Allen, et vous le savez, une autre va venir, la vraie, générale, et tout le monde se battra. Vous avez été à Berlin comme moi, vous n’en êtes pas sûr ? Manqueriez-vous à ce point de flair ? »
    Elle a beaucoup fumé, beaucoup bu et moi aussi. Je voulais me donner du courage. Nous n’avons fait l’amour qu’une dizaine de fois en tant d’années déjà, et chaque fois, comme si nous avions peur de nous lier, nous nous séparions. Si bien que chaque nouvelle fois est pour moi la première.
    Écrivant cela, je réfléchis au fait que mes livres sont jusqu’à ce jour pudiques, pour ne pas dire prudes.
    J’ai relu il y a quelques jours, sur le front de Teruel – étrange lecture, mais peut-être me fallait-il cette échappée vers le sentiment afin d’oublier la guerre – ce que j’appelle mon roman d’amour, La maison ouverte.
    Je n’avais plus de nouvelles de Tina et je savais la retrouver dans ce texte. Mais j’ai alors remarqué que je ne l’avais jamais décrite physiquement, comme si elle se réduisait pour moi à des phrases, à des regards, au mieux une expression et des cheveux ! Pas de seins, pas de jambes, pas de sexe ! Et bien sûr pas de relations sexuelles entre le héros (moi, naturellement ! Encore moi ! Toujours moi !) et l’héroïne (elle naturellement). Ce beau monde vit d’idées, de regards langoureux, de discussions, mais ne jouit jamais !
    Est-ce l’Espagne qui me transforme ou l’âge, ou Tina ? L’Espagne n’est pas le pays érotique que j’ai cru, mais enfin la passion ici reconnaît sa terre. Sang, arènes, guerre. Poncifs.
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