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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II
Autoren: Max Gallo
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en hurlant.
    — Vous et moi, dit Lazievitch, nous sommes contraints de savoir.
    Il se tourna vers Allen. Il avait un visage étonnamment jeune, un regard naïf et doux.
    — J’opère tous les jours, reprit-il. Des interventions plus ou moins graves. Mais j’ai toujours les mains pleines de sang. Vous aussi, n’est-ce pas ? Vos reportages. Comme moi, vous ne pouvez ignorer qu’on meurt.
    — Je sais qu’on tue, dit Allen.
    Peut-être à cause du livre de Bowler et de Tina, il pensa à la Chine, à ces hommes agenouillés dans la rue, les mains liées et qu’on exécutait d’un seul coup de sabre à lame courte.
    — Êtes-vous croyant ? demanda-t-il brusquement à Lazievitch.
    Il venait d’avoir une fois de plus le sentiment que les événements, les pensées, les souvenirs, les rencontres convergeaient, comme des lignes de force attirées par le même point central. Ici, dans cet appartement du quai de Béthune, il avait appris il y a quelques années que Cordelier était le neveu de ce père jésuite, Giulio Bertolini qui, rencontré à Shanghai, avait guidé Allen vers Lee Lou Ching. Et Tina avait écrit avec Bowler un livre sur Lee.
    — Qui ne l’est pas ? dit Lazievitch. Beaucoup ne croient qu’avec leur corps, ils l’ignorent, mais ils croient. Comment demeurer vivant si le corps ne croyait pas à son éternité ? – Lazievitch se tut, sourit à Allen – ce que je dis vous paraît étrange, n’est-ce pas ? Expérience de médecin. Que le corps reste rassemblé me semble un mystère. Il doit vouloir vivre. Chaque cellule croit, Gallway, c’est notre corps qui est mystique, bien plus que l’âme.
    Lazievitch mit la main sur le genou d’Allen.
    — Vous êtes encore très jeune, Gallway. Si, si, vous découvrez à peine l’ordre des choses.
    — Leur désordre, dit Allen.
    Lazievitch secoua la tête.
    — Même le désordre a ses lois. Seulement – Lazievitch fit une pression avec sa main – seulement Gallway, reconnaître qu’il y a un ordre, cela effraie. Nous préférons ne pas savoir, ne pas interpréter les coïncidences, les signes. Les malades sont ainsi, ils ignorent les symptômes. Ils les découvrent trop tard.
    — La guerre, commença Allen en se levant.
    — Une maladie, dit Lazievitch.
    Il se levait aussi, prenait le bras d’Allen :
    — Contagieuse, hélas ! ajoutait-il à mi-voix.
    Souvent Giulio Bertolini pensait que la guerre était à l’œuvre en lui comme une tumeur insidieuse. Il suffisait d’un coup de feu la nuit pour que son épaule, sa nuque, l’avant-bras, les doigts soient pris, broyés par la douleur. Il se levait, tâtonnait, guettait ces nouvelles détonations qui allaient suivre, proches de la Mission catholique. Il s’immobilisait, vivait la scène, la sentinelle japonaise épaulant méticuleusement son long fusil à baïonnette, suivant dans l’obscurité le mouvement du Chinois, peut-être un enfant ou une femme qui essayait de pénétrer dans le territoire des concessions, quelque peu préservé des violences nippones, et le claquement du coup souvent redoublé déchirait le temps. Puis la lumière du projecteur qui éclairait la rue, la façade de la Mission, effleurait, brisée par les volets, Giulio Bertolini, s’éloignait, s’attardait sur le corps immobile vers lequel s’avançait le soldat. Il donnait un ou deux coups de baïonnette, poussait le cadavre du pied, reprenait sa faction.
    Giulio s’agenouillait dans la nuit. Il pesait sur ses articulations rougies, il priait pour que ses os se brisent, que cette enflure des jambes, des bras, l’étouffe, l’empêche de savoir. Il retrouvait les prières naïves de l’enfance, les récitait à voix haute. Quelquefois quand les hurlements avaient semblé couvrir tous les bruits de Shanghai, jusqu’aux sirènes des bateaux dans le port, les cornes des sampans du Yang-Tseu-Kiang ou les cymbales des veillées funèbres, Giulio s’allongeait, face contre terre, les bras en croix comme au jour de son ordination, mort à la vie pour quelques instants, priant de ne jamais renaître en ce monde où l’on tranchait – et il l’avait vu – les têtes d’un seul coup de sabre à lame courte, où des soldats japonais – et des témoins avaient en sanglotant décrit la scène – attachaient des enfants à un arbre et, baïonnettes horizontales, bras tendus, pieds écartés, faisaient l’exercice sur ces corps vivants. Crier sa prière avec la même terreur, la
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