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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II
Autoren: Max Gallo
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de ne pas s’y rendre, le souvenir de Tina, la lassitude aussi, ces mots, ces gestes, l’usure qui allait venir, plus ou moins vite, des vers de Dante qui surgissaient de la mémoire, l’ouverture de L’Enfer, lus à bord du Providence, quand Allen avait toujours un ou deux livres calés entre sa ceinture et son dos. Dès qu’il avait un moment, il retirait le livre, chaud, humide de sueur. Ces vers qu’il se remémorait :
    In mezzo del camin… À mi-parcours de cette vie
    Je me retrouvais dans une forêt obscure
    Car j’avais perdu le droit chemin.
    —  Dîner, pourquoi pas ? disait Catherine. Sarah Berelovitz et Serge Cordelier me parlent sans cesse de vous. Je n’ai pas pu vous oublier, Allen Gallway, j’ai même lu Le Village espagnol, votre dernier livre, je crois.
    Quelques jours plus tard, l’habitude était prise. Elle passait la nuit boulevard Raspail. Le matin elle descendait de la loggia en peignoir, s’allongeait sur le canapé, à droite du bureau où travaillait Allen. Elle allumait une cigarette, le regardait sans indulgence et cette attention critique troublait Allen Gallway.
    — Tu n’as pas cours ce matin ? demandait-il.
    Elle secouait la tête, se tournait, vive, s’installait sur le dos, le peignoir entrouvert, ses jambes trapues croisées, ses pieds larges de paysanne appuyés au dossier du canapé.
    — Puritain, disait-elle, puritain, Gallway.
    La nuit, elle l’inquiétait par son avidité tranquille, avouée, les mots crus qu’elle employait dès qu’elle était nue, l’autorité parfois avec laquelle elle l’obligeait à agir. Gallway avait la sensation désagréable mais aiguë d’un plaisir malsain, d’une double solitude plutôt que d’un partage ou d’une union où chacun donne. Souvent il pensait à Tina, à la nuit si courte de Barcelone, à ses seins nus.
    — Le puritain, continuait Catherine, c’est celui qui ne prend pas de vrais risques. Tes livres – elle se tournait, s’appuyait sur un coude – tu restes extérieur aussi, Allen.
    — Une amie… commençait Allen.
    Tina lui avait écrit : «  Tailladez-vous un peu les veines et écrivez avec ce qui en jaillit. »
    — Le même jugement que toi, ajoutait-il.
    Catherine se levait, s’approchait d’Allen, lui caressait distraitement les cheveux.
    — Peut-être es-tu tout à fait indifférent. Je m’interroge.
    Il voulait l’attirer contre lui, si tendres les femmes qu’il rencontrait, fières et nobles, Allen plus lâche qu’elles toujours. Mais Catherine se dégageait, traversait l’atelier en courant, grimpait l’escalier, criait depuis la loggia :
    — Je rentre. Vous venez chez Sarah, ce soir ?
    Elle laissait la porte de la salle de bains ouverte, continuait de parler, jurait parce que l’eau était trop chaude ou trop froide. Allen l’imaginait nue, penchée sur la baignoire, les seins alourdis. Il se levait.
    — Sarah est allée donner un récital pour le réveillon, dans la ligne Maginot. Elle vous l’a dit ?
    Allen retournait s’asseoir à son bureau, griffonnait.
    Il avait vu Sarah Berelovitz peu de temps après être rentré de Varsovie. Ils s’étaient rencontrés rue d’Assas, chez Nathalia, la mère de Sarah, qui tout en se lamentant apportait le thé, les pâtes de fruit. Mietek Graevski, le peintre, était arrivé en retard, rien n’allait, disait-il en maugréant, son modèle :
    « … Hélo, tu la connais Sarah, mon Héloïse s’est cassé le bras, en tombant d’un tabouret. »
    Il se retournait vers Gallway :
    « … Gallway, Gallway, l’écrivain, Allen Roy Gallway ? »
    Il prenait la main de Gallway, la secouait :
    « … Alors vous étiez à Varsovie, dites-moi, Gallway, la rue Mila, la place Tlomackie ? Détruites. »
    Allen ne pouvait répondre.
    « … Des réfugiés, racontait-il, ils ont fui devant les Allemands, beaucoup de juifs bien sûr. »
    Mietek faisait une grimace, se passait les doigts dans les cheveux :
    « … Si la France et l’Angleterre n’écrasent pas Hitler, vite, vite, ça va être dur, très dur pour ceux qui sont restés là-bas. »
    Il embrassait Sarah, baisait la main de Nathalia Berelovitz :
    « … Vous voyez, Nathalia, vous avez de la chance, vous êtes ici, à l’abri. »
    Nathalia murmurait en baissant la tête :
    « … Nous autres, nous ne sommes jamais à l’abri, nulle part. »
    Sarah haussait les épaules nerveusement :
    « … Vous savez que Serge est à Londres, disait-elle,
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