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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II
Autoren: Max Gallo
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naturelle du confort. Eau chaude. Eau froide. Et utilisé ces curieuses machines, si dociles, qu’on appelle bonnes ou femmes de ménage.
    Notre cuisine à Argenteuil était un placard. L’eau était sur le palier. Nos voisins, des ouvriers algériens, vivaient à sept dans deux pièces.
    Le jour se lève tôt et meurt tard en banlieue.
    J’ai eu peur de vivre cela toute ma vie. J’ai compris – Emmanuelle avait eu raison, je n’étais pas folle, peut-être pas assez généreuse – que l’ordre établi ne changerait pas. Pas encore. Que ma vie était brève, que je voulais un enfant et désirais pour lui le privilège.
    Assez de mots, assez de misère.
    J’ai eu peur de laisser ma peau pour rien dans cette rue du Nord, à Argenteuil, où il me semblait que me guettaient des ombres.
    Quand j’atteignais la gare d’Argenteuil, j’étais rassurée. Les zones éclairées s’élargissaient. J’achetais Le Monde. Je sortais de la sauvagerie, les mots s’ordonnaient à nouveau. Je lisais distraite et, au bas de la page 3, à gauche, en caractères gras, l’article, si bref pour une vie…
    Je l’ai retrouvé. Je l’avais donc découpé et j’ai honte de ce geste d’avare qui classe et conserve ses émotions.
    UNE FRANÇAISE ABATTUE À LA PAZ AU COURS D’UNE OPÉRATION DE POLICE.
    Dans le cadre de la lutte contre les derniers foyers de guérilla, on confirme à La Paz que des opérations de police ont eu lieu dans différents quartiers de la capitale bolivienne.
    Dans la haute ville où se concentre la population d’origine indienne, une maison a notamment été cernée par les forces de l’ordre.
    Une longue enquête, à laquelle semble-t-il ont participé des officiers de la CIA, a permis de localiser ce lieu de réunion des militants révolutionnaires réfugiés en ville après l’échec des tentatives de soulèvement dans les campagnes.
    L’assaut, qui n’a duré que quelques minutes, a surpris les occupants de la maison. Des coups de feu ont été échangés.
    Cinq personnes ont été tuées. Parmi elles se trouverait une Française qui aurait été liée, à Paris, aux milieux d’extrême gauche, Emmanuelle Tomi.
    L’ambassade de France à La Paz et le Quai d’Orsay ne sont pas en mesure de confirmer cette nouvelle mais dans les milieux officiels de la capitale bolivienne – comme à l’ambassade des États-Unis – on la tient pour sûre.
    Au-dessous de ce texte, entre parenthèses, quelques lignes encore :
    (Âgée de vingt-sept ans, Emmanuelle Tomi était née à Paris. Elle est la petite-fille de l’académicien Gilbert Jaspars et la fille de Catherine Jaspars-Grave qui fut journaliste aux Lettres Françaises.
    Emmanuelle Tomi, après avoir été membre du bureau de l’Union des Étudiants Communistes, s’en était séparée pour se rapprocher des mouvements trotskistes puis maoïstes. Elle avait participé à la rédaction des Cahiers de l’UJCML et avait joué un rôle actif durant les événements de mai 1968.
    Elle avait quitté la France au début de l’année 1969, séjournant semble-t-il à Mexico durant quelques semaines.)
    Je suis rentrée avec la mort d’Emmanuelle serrée contre moi.
    J’avais jeté ce journal sur la table, devant Christophe, Robert, Jean-Paul. J’ai dit : « Voilà, camarades. »
    J’attendais de la tristesse. Ils l’avaient connue comme moi, Emmanuelle. Ils avaient pris son bras ou sa main au premier rang des manifestations. Ils avaient dormi ensemble dans le bureau de Censier où se réunissait en mai le comité d’autogestion de la Faculté. Ils avaient gueulé, chanté avec elle. Ils avaient lu les mêmes livres, pleuré ensemble dans les rues, après, quand éclataient loin devant les barrages casqués les lueurs soufrées.
    Peut-être l’un ou l’autre avait-il caressé ses cheveux.
    Ils ont refermé le journal. Ils ont dit – peu m’importe lequel d’entre eux a parlé le premier, leurs voix se sont mêlées – « ligne politique suicidaire, le jeu de l’impérialisme, les contradictions secondaires, Mao, Lee Lou Ching, CIA, volontarisme petit-bourgeois, Régis Debray, les PC révisos. »
    Comme si elle n’avait jamais existé pour eux.
    Je les écoutais, je les voyais recommençant à jouer avec les mots, alors qu’elle était morte, elle qui se levait tôt le matin, pâle et active, qui fredonnait en préparant le café dans l’appartement de la rue Saint-Jacques, ces chansons nostalgiques et résolues
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