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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II
Autoren: Max Gallo
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vivons d’elle, sache-le.
    Des actes, des actes, contre ce scandale !
    Je t’embrasse.
    Emmanuelle
    J’ai devant moi des enveloppes de couleur bistre et mes agendas d’alors. J’y rayais chaque jour passé comme si derrière moi plus rien ne devait exister, terre brûlée, l’avenir seul ouvert, coupons les amarres, détruisons les navires.
    Je recherche maintenant, sous les hachures que j’ai tracées, les repères. Je vide les enveloppes sur la table où j’écris.
    Revoici la lettre d’Allen que j’ai recopiée. Je lève les yeux, devant moi la mer couverte de brume. Je baisse les yeux, devant moi la mort d’Emmanuelle, les carnets de Christophe où je peux suivre aussi, soir après soir – il notait en rentrant de l’usine ce qu’il avait vu – sa marche vers la mort.
    J’ouvre mon agenda, 1969. Un signe dans la marge, en novembre un E majuscule.

    ainsi j’indiquais ceux qui étaient tombés dans le combat.
    J’avais acheté le journal à la gare d’Argenteuil, en revenant du Centre d’apprentissage. Je le lisais en marchant, distraite, pensant à la nuit qui m’attendait, notre chambre qui deviendrait grise, la fumée, les voix, les phrases qu’il faudrait récrire jusqu’à ce que nous soyons tous d’accord. Je taperais le texte à la machine, Christophe la cigarette éteinte entre les lèvres, ferait chauffer du café, cependant que Jean-Paul, Robert, reliraient au fur et à mesure les feuilles que je leur tendrais.
    Je retrouve les tracts ronéotypés, des lettres effacées là à la pliure. Si peu de mots disparus alors que tant d’entre nous sont morts, Emmanuelle, Christophe. Les textes mieux que les hommes résistent au temps :
    Nous dirons que les Groupes d’Établissement doivent devenir le facteur dirigeant du mouvement dans son ensemble. Cela ne signifie nullement que nous devons supprimer toutes les autres formes de travail ou d’organisation. Cela signifie que pour ce qui est du style de travail, de la propagande, de la presse, de la répartition des forces militantes, c’est le point de vue des Groupes d’Établissement qui doit l’emporter.
    Notre langage, nos sigles, G-E, M-L. Nous étions des m-l, marxistes-léninistes. Nous étions le grain qui avait besoin du sol fertile de la classe ouvrière. Et Christophe s’était fait embaucher à la C.M.G. à Argenteuil, et Robert chez Citroën. Moi, j’enseignais au bout de la rue du Nord, à ces enfants qui savaient à peine écrire leur nom. Notre vie – qu’importe si nous n’étions que quelques-uns qui ne reflétions en rien la vie du pays, c’était notre vie, la sueur de Christophe et ses doigts écrasés par une pièce, et ses paumes coupées par le bord d’une tôle – notre vie devenait cette abstraction, ces phrases, sur ce papier râpeux, où je reconnais jusqu’à l’odeur de l’encre :
    Les Groupes d’Établissement sont composés de camarades qui ont pris des mesures pratiques pour aller vivre parmi les masses, partager leur condition d’exploitation, travailler avec elles et se joindre à leurs luttes. L’objectif immédiat de ces Groupes d’Établissement est d’organiser les masses, de constituer des noyaux m-l, ouvriers et paysans, le plus souvent sur les lieux mêmes du travail, de raviver et d’unifier, à l’échelle locale et régionale, les luttes de classe.
    Briser cette gangue de mots que je retrouve dans ces papiers dispersés sur ma table, au soleil et qu’il me faut retenir parce que le vent les fait glisser, que Samuel, entré dans la bibliothèque, essaye de les saisir. Je le prends sur mes genoux, je ne veux pas qu’il déchire ce qui est resté à nous, un jour…
    Je pense encore à l’avenir comme nous y pensions.
    Nos mots, nos rêves : À propos des perspectives d’organisation d’un détachement de prolétariat, notre jargon  : Ne pas isoler la lutte contre le révisionnisme de la lutte contre la bourgeoisie, construire le futur , nous voulions avec cela construire le futur.
    La gangue a séché. Elle dure.
    Oui saura, si je ne le dis pas, les yeux fiévreux de Christophe, sa toux quand il passa près de trois mois à la forge ? Sa colère et sa peine quand il me racontait comment tel ou tel…
    Leurs noms, qu’importe ? Ils avaient le visage d’ailleurs, Voyo le Yougoslave, Patrice le Martiniquais, Ahmed…
    J’écris, et je crains que ces noms ne sonnent faux parce que ce que je dis est vrai.
    Ouvrir l’un des carnets de Christophe. Une
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