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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II
Autoren: Max Gallo
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bolivien ou le soldat de Giap. Je trouvai en Mao un père, le Che fut mon frère, mon amant. Je chantai avec Joan Baez la nostalgie des temps édéniques.
    Je m’installais chez Emmanuelle Tomi.
    J’aimais le désordre de ces deux petites pièces, les « copains » qui poussaient la porte entrebâillée, qui déposaient un paquet de tracts, des livres, des journaux à vendre rue de la Sorbonne, qui téléphonaient. J’appris ce vocabulaire qui crée les solidarités de secte, Manif, réviso, fachos, Lin Piao, Mao, Lee Lou Ching, Fidel. Maspéro, parti d’avant-garde, impérialisme, UJCML, plus tard GP, PCML, PC, CGT. Traduire n’a plus aucune importance aujourd’hui. Les lettres sont retournées à leur place dans l’alphabet des vies quotidiennes. Les érudits seuls et quelques militants qui se souviennent jouent avec ces mots de jadis aux osselets de la mémoire.
    Je ne le ferai pas.
    Je dépouille de leurs colifichets, de leurs grelots et de leurs masques, ces clowns que nous fûmes, et j’y reconnais des hommes et des femmes qui n’acceptaient pas que le monde fût une arène où les mêmes toujours s’en vont mourir pour le plaisir des grands.
    Je fus la moins aveugle – et la moins généreuse. Je fis cependant la part qui m’échut. Je suivis Christophe Le Guen quand il s’enfonça dans ce qu’il appelait le peuple. Mais je suis restée vivante. Je vis avec Samuel, au Mas Cordelier.
    Christophe est mort sur la scène. Emmanuelle aussi.
    Je ne veux pas faire leur autopsie. Ils sont morts de leur Geste et je leur laisse les parures dont ils s’enveloppèrent.
    Emmanuelle, je l’aimais comme ma sœur folle, mon aventureuse compagne.
    Elle était petite et nerveuse, brune, les cheveux bouclés coupés très court. Le matin, elle bondissait de son lit, la cigarette au bout des doigts, déjà elle enfilait un pantalon, une chemise paysanne, serrait sa grosse ceinture de cuir, commençait à téléphoner. Elle aimait à la va vite, comme elle faisait tout. « Les mecs, ils te font perdre un temps, plus tard, quand… »
    Plus tard, plus tard, quand les générations futures…
    Elle avait le corps couvert de plaies, Emmanuelle. Quand elle disait le Parti je voyais une cicatrice. Puis elle parlait des intellectuels français : « Des donneurs de leçons, pour un qui risque sa peau, les autres qui… »
    Elle passait d’un groupe à l’autre, Mouvement du 22 mars, FER, GP, Ligue, à quoi bon retracer son itinéraire ? Je m’y perds et je crois qu’elle s’y égarait aussi.
    Nous nous retrouvâmes, après mai, alors que je vivais avec Christophe à Argenteuil, que nous cherchions à créer des bases rouges dans les usines de banlieue, et j’en souris aujourd’hui à grosses larmes tant nous mîmes d’énergie dans cette tâche irraisonnable dont Christophe mourut.
    Emmanuelle posa son sac de voyage sur le sol, dans un café près de la gare du Nord.
    — Je pars, je pars, Nathalia. Elle m’embrassait, je l’interrogeais.
    — Dis-moi.
    Elle riait, elle refusait de parler, dévisageait les consommateurs comme si toutes les polices impérialistes avaient décidé de la suivre.
    — Plus tard, si je reviens.
    Elle riait encore.
    Elle me raccompagnait. Je portais son sac. Elle était menue.
    — Toi, tu n’es pas assez folle – brusquement elle était grave, désespérée même – tu as gardé les pieds sur terre, nous, moi, trop tard. Il faut qu’on brûle.
    Je pensais qu’elle disait vrai, je savais que Christophe, comme elle, avait trop respiré cet acide qui rend la vie normale morte.
    — Écris sur nous, après, quand…
    Elle avait recommencé à rire, et d’un geste, les doigts repliés, elle mimait l’action de tuer d’un coup de feu. Elle m’envoya quelques mots de La Paz.
    Je songe aujourd’hui à la mère de Julia, cette Indienne, Dolorès, je me dis que s’échangent les vies, d’un continent à l’autre, dans ce siècle où les destins se croisent. J’imagine ces quartiers indiens de La Paz où le père Bertolini recueillit Dolorès, et Emmanuelle m’écrivait de ces mêmes quartiers.
    Un autre monde. L’immobilité indienne devant la misère me révolte. Cette soumission, née du meurtre de générations entières par les Européens, je la hais. L’injustice ici dévore tout, personne ne songe à cacher l’inégalité. Les enfants ont le corps rongé par la faim.
    J’ai honte d’avoir vécu jusqu’à aujourd’hui de leur pauvreté. Car nous
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