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Les conquérants de l'île verte

Les conquérants de l'île verte

Titel: Les conquérants de l'île verte
Autoren: Jean Markale
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des êtres féeriques : tout se passe
comme si les personnages des épopées étaient avant tout des symboles
préexistant à tout récit organisé et dont on s’efforçait d’éclairer la
signification profonde en leur prêtant des aventures prétendument historiques.
Cette tendance, qui semble fondamentale chez tous les Celtes, contredit
formellement la thèse d’Evhémère selon laquelle les dieux ne sont que des
humains divinisés. En effet, surtout dans les récits qu’on peut classer comme
mythologiques, les dieux apparaissent nettement incarnés dans l’histoire, dût
cette histoire ne reposer sur aucun fait réel. Ici, apparaît une autre
caractéristique des Celtes : quand ils ignorent l’histoire de leur passé
ou l’ont oubliée, ils l’inventent. On peut même aller plus loin : quand
ils ne sont pas satisfaits de leur histoire vécue, ils la nient et en
fabriquent une autre, beaucoup plus conforme à leur mentalité. Chez les Celtes,
la prééminence du mythe par rapport à la réalité quotidienne est d’une évidence
absolue.
    Mais tout cela ne se prête guère à une classification de
type habituel. Les épopées irlandaises se présentent dans un désordre qui peut
s’apparenter à du flou artistique. Les personnages mythologiques reparaissent
constamment dans les récits d’essence historique, et les détails réalistes
envahissent les contes qui font la part belle au surnaturel : c’est que,
dans la mentalité celtique, irlandaise ou autre, il n’existe aucune frontière
entre le monde visible et le monde invisible. Le surnaturel, comme son nom
l’indique, n’est que le naturel survolé d’un peu plus haut pour en révéler les
réalités cachées. Dans ce cas, le réel, qui sert de base à tout récit
événementiel, apparaît comme transcendé, comme un authentique surréel ,
un monde de la pensée intérieure, à l’image de cet univers du sidh ,
c’est-à-dire de l’Autre Monde, qui, selon la croyance irlandaise, se trouve à
l’intérieur des grands tertres mégalithiques où demeurent dieux et héros :
d’ailleurs, ces tertres sont ouverts à chaque fête de Samain (nuit de la Toussaint), et cela permet l’intercommunicabilité des deux mondes.
Quoi de plus naturel ? Il n’y a pas de merveilleux dans l’épopée celtique,
il y a seulement du fantastique. En fait, c’est le réel qui, à force de subir
des métamorphoses, devient fantastique.
    Comportements étranges, décors surréalistes, désordre du
fond comme de la forme : telles sont les caractéristiques de l’épopée
primitive des Celtes, en particulier de celle que les Gaëls d’Irlande ont cru
bon de transmettre à la postérité. Ce désordre a de quoi surprendre qui vit
encore à l’ombre – et à l’abri – d’un rassurant aristotélisme bâti sur la
logique du vrai et du faux. Mais les Celtes n’ont jamais connu Aristote ou
jamais voulu suivre ses appels à la raison commune : ils ont préféré en
rester à la dialectique pré-socratique, antérieure au miracle grec, et
prétendre, comme le faisait Héraclite, que « les chemins qui montent sont
aussi ceux qui descendent ». Ce n’est même pas du paradoxe, c’est de la
logique pure qui démontre que tout jugement humain dépend de son système de
référence, autrement dit de la polarité de l’action : tout dépend de ce
qu’on entend par « haut » et par « bas ». D’ailleurs, les
Latins, pourtant réputés logiques , utilisaient le même
terme, altus , pour qualifier la hauteur et la
profondeur, on l’a sans doute bien oublié. Quant au désordre surprenant de
l’épopée celtique, il n’est qu’apparence trompeuse : les poètes et
conteurs irlandais savaient très bien à quoi s’en tenir là-dessus, car certains
d’entre eux ont restitué le plan d’ensemble de ces contes mythologiques épars
ou fragmentaires, procédant en cela comme un Chrétien de Troyes et les auteurs
français du Moyen Âge qui, à travers des contes arthuriens apparemment
dépourvus de continuité, écrivirent et prolongèrent la grande épopée du Graal
et de la Table Ronde. Les épopées irlandaises forment en effet un cycle parfaitement
cohérent qui, s’il n’est pas toujours facile à discerner, apparaît à l’analyse
comme un schéma d’une rigueur implacable.
    C’est ainsi que fut rédigé avant l’an 1168 le célèbre Livre
des Conquêtes ( Leabhar Gabala ), qui est une sorte
de compilation de contes mythologiques liés aux
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