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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain
Autoren: Amin Maalouf
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plus
infamante qui soit. De surcroît, elle se doublerait très vite d’une guerre
civile meurtrière et démoralisante qui est le lot des royaumes en voie de
disparition.
    En effet, deux cents jours, très précisément,
après son succès à Zahara, Abou-l-Hassan fut écarté du pouvoir. La révolution
eut lieu le 27 du mois de jumada-oula 887, le 14 juillet 1482.
Ferdinand se trouvait, ce même jour, à la tête de l’ost royal au bord du fleuve
Genil, sous les murs de la ville de Loja, qu’il assiégeait depuis cinq jours,
lorsqu’il subit par surprise l’assaut d’un détachement musulman commandé par
Ali al-Attar, l’un des officiers les plus habiles de Grenade. Ce fut une
journée mémorable, dont Abou-l-Hassan aurait pu s’enorgueillir, puisque le
héros du jour, agissant sur ses ordres, avait réussi à semer la panique dans le
camp du roi chrétien, qui s’enfuit en direction de Cordoue, laissant derrière
lui des canons, des munitions, une grande quantité de farine ainsi que des
centaines de morts et de prisonniers. Mais sans doute était-il trop tard.
Lorsque la grande nouvelle parvint à Grenade, la révolte grondait déjà :
Boabdil, le fils de Fatima, avait réussi à s’enfuir de la tour de Comares en se
laissant glisser, dit-on, le long d’une corde. On l’acclama aussitôt dans le
faubourg d’Albaicin et, dès le lendemain, quelques complices lui permirent d’entrer
dans l’Alhambra.
    « Dieu a voulu qu’Abou-l-Hassan soit renversé
le jour même de sa victoire, comme Il lui avait envoyé le déluge le jour de la
Parade, pour l’obliger à courber le dos devant son Créateur », observait
Salma.
    Mais le vieux sultan ne s’avoua pas vaincu. Il se
réfugia à Malaga, rassembla ses partisans autour de lui et prépara activement
une revanche contre son fils. Le royaume était désormais divisé en deux
principautés ennemies qui allaient s’entre-déchirer sous le regard amusé des
Castillans.
    « Déjà sept ans de guerre civile, songeait ma
mère, sept ans d’une guerre où le fils tue son père, où le frère étrangle son
frère, où les voisins se soupçonnent et se trahissent, sept ans que les hommes
de notre faubourg d’Albaicin ne peuvent s’aventurer du côté de la Grande
Mosquée de Grenade sans être conspués, maltraités, assommés, et parfois même
égorgés. »
    Son esprit voguait alors bien loin de cette
cérémonie de circoncision qui se déroulait à quelques pas d’elle, bien loin de
ces voix et du tintement des coupes qui lui parvenaient étrangement feutrés,
comme dans un songe. Elle se surprit à répéter : « Cette maudite
Parade ! » Elle soupira, à moitié assoupie.
     
    *
     
    « Silma, ma sœur, toujours en train de
rêvasser ? »
    La voix rêche de Khâli métamorphosa ma mère en
petite fille. Elle sauta au cou de son frère aîné et lui couvrit le front, les
épaules, puis les bras et les mains de baisers chauds et furtifs. Attendri,
mais quelque peu embarrassé par ces effusions qui bousculaient sa digne
contenance, il restait debout, raide dans sa longue jubba de soie aux
manches flottantes, son écharpe, le taylassan, élégamment enroulée
autour de ses épaules, ne portant sur le visage que l’ébauche d’un sourire
protecteur pour attester sa joie. Mais cette apparente froideur ne décourageait
nullement Salma. Elle avait toujours su qu’un homme de qualité ne pouvait
étaler ses sentiments sans donner une impression de légèreté qui sied mal à son
statut.
    « À quoi pensais-tu ? »
    Si la question était venue de mon père, la réponse
de Salma aurait été évasive, mais Khâli était le seul homme devant lequel elle
savait dévoiler son cœur en même temps que sa chevelure.
    « Je pensais à nos malheurs, au jour de la
Parade, à cette guerre sans fin, à notre ville divisée, aux gens qui meurent
chaque jour. »
    De son gros pouce aplati, il écrasa sur la
pommette de sa sœur une larme solitaire.
    « Ce ne sont pas des pensées pour une mère
qui vient de donner naissance à son premier fils, décréta-t-il sans conviction,
avant de reprendre sur un ton solennel, mais bien plus sincère : Vous
aurez les gouvernants que vous méritez », a dit le Prophète.
    Elle-même répéta les mots après lui :
    «  Kama takounou youalla aleïkoum.  »
    Puis, ingénue :
    « Que veux-tu me dire par là ? N’as-tu
pas été l’un des premiers partisans du sultan actuel ? N’as-tu pas soulevé
Albaicin pour
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