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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain
Autoren: Amin Maalouf
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librement
sous Boabdil, alors que du temps de son père l’on regardait sept fois autour de
soi avant de formuler la moindre critique, que l’on s’exprimait en termes
ambigus, à coups de versets et de dictons, pour pouvoir se rétracter en cas de
dénonciation. De se sentir plus libres, moins épiés, les Grenadins n’en étaient
que plus durs à l’égard du sultan, même quand ils se trouvaient sous son toit,
même quand ils étaient venus lui souhaiter longue vie, santé et victoires.
Notre peuple est impitoyable pour les souverains qui ne le sont pas.
    « En cette journée d’automne, les feuilles
jaunies étaient plus fidèlement attachées à leur arbre que les notables de
Grenade à leur monarque. La ville était divisée, comme elle l’était depuis des
années, entre le parti de la paix et le parti de la guerre, aucun des deux ne
se réclamant du sultan.
    « Ceux qui voulaient la paix avec la Castille
disaient : nous sommes faibles et les Roum sont puissants ;
nous sommes abandonnés par nos frères d’Égypte et du Maghreb, alors que nos
ennemis ont l’appui de Rome et de tous les chrétiens ; nous avons perdu
Gibraltar, Alhama, Ronda, Marbella, Malaga, et bien d’autres places, et tant
que la paix ne sera pas rétablie, la liste ne cessera de s’allonger ; les
vergers sont dévastés par les troupes et les paysans se plaignent ; les
routes ne sont plus sûres, les négociants ne peuvent plus s’approvisionner, la
Césarée et les souks se vident et les prix des denrées augmentent, sauf celui
de la viande qui se vend un dirham la livre, car il a fallu abattre des
milliers de têtes de bétail pour les soustraire aux razzias ; Boabdil
devrait tout mettre en œuvre pour faire taire les bellicistes et parvenir à une
durable trêve avec les Castillans, avant que Grenade elle-même ne soit
investie.
    « Ceux qui voulaient la guerre
disaient : l’ennemi a décidé une fois pour toutes de nous anéantir, et ce
n’est pas en nous soumettant que nous le ferons reculer. Regardez comment les
habitants de Malaga ont été réduits en esclavage après leur reddition !
Regardez comment l’Inquisition élève des bûchers pour les juifs à Séville, à
Saragosse, à Valence, à Teruel, à Tolède ! Demain, les bûchers s’élèveront
ici même à Grenade, non seulement pour les gens du sabbat mais pour les
musulmans aussi ! Comment l’empêcher, sinon par la résistance, par la
mobilisation, par le Jihad ? Chaque fois que nous nous sommes battus avec
énergie, nous avons pu enrayer l’avance des Castillans, mais après chacune de
nos victoires il s’est trouvé parmi nous des traîtres qui ne cherchaient qu’à
se concilier l’ennemi de Dieu, qui lui payaient des tributs, lui ouvraient les
portes de nos villes. Boabdil lui-même n’a-t-il pas promis à Ferdinand de lui
livrer un jour Grenade ? Voilà plus de trois ans qu’il lui a signé un
papier à cet effet à Loja. Ce sultan est un traître. Il doit être remplacé par
un vrai musulman, déterminé à mener la guerre sainte et qui redonne confiance à
notre armée.
    « Il aurait été difficile de trouver un
soldat, un officier, commandant de dix, de cent ou de mille, encore moins un
homme de religion, cadi, notaire, uléma ou prédicateur de mosquée, qui ne
partageât ce dernier point de vue, alors que les commerçants et les
cultivateurs se déclaraient plutôt pour la paix. La cour de Boabdil était
elle-même divisée. Laissé à ses penchants, le sultan aurait conclu n’importe
quelle trêve, à n’importe quel prix, car il était né vassal et n’aspirait qu’à
mourir ainsi ; mais il ne pouvait ignorer la volonté de son armée qui
observait avec une impatience mal contenue les combats que menaient avec
héroïsme d’autres princes de la famille royale nasride.
    « Un exemple éloquent revenait dans tous les
propos des partisans de la guerre : celui de Basta, cité musulmane à l’est
de Grenade, encerclée et canonnée depuis plus de cinq mois par les Roum. Les
rois chrétiens – que le Très-Haut démolisse ce qu’ils ont bâti et bâtisse
ce qu’ils ont démoli ! – avaient élevé des tours de bois qui
faisaient face à l’enceinte et creusé un fossé pour empêcher les assiégés de
communiquer avec l’extérieur. Pourtant, malgré leur supériorité écrasante en
hommes et en matériel, et malgré la présence sur place de Ferdinand lui-même,
les Castillans ne parvenaient pas à l’emporter,
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