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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain
Autoren: Amin Maalouf
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et la garnison effectuait
chaque nuit des sorties meurtrières. Ainsi, la résistance acharnée des
défenseurs de Basta, commandés par l’émir nasride Yahya an-Najjar,
excitait-elle l’ardeur des Grenadins et enflammait-elle leur imagination.
    « Boabdil ne s’en réjouissait guère, car
Yahya, le héros de Basta, était l’un de ses ennemis les plus acharnés. Il
revendiquait même le trône de l’Alhambra, sur lequel son grand-père s’était
déjà assis, et considérait le sultan actuel comme un usurpateur.
    « La veille même du Jour de l’an, un nouvel
exploit des défenseurs de Basta parvint aux oreilles des Grenadins. Les
Castillans avaient appris, disait-on, que les provisions commençaient à manquer
à Basta. Pour les persuader du contraire, Yahya avait imaginé un
stratagème : rassembler tous les vivres qui restaient, les étaler bien en
évidence dans les échoppes du souk, puis inviter une délégation de chrétiens à
venir négocier avec lui. Entrés dans la ville, les envoyés de Ferdinand furent
étonnés de voir une telle profusion de produits en tous genres, et ne
manquèrent pas de rapporter le fait à leur roi en lui recommandant de ne plus
chercher à affamer Basta mais de proposer à ses défenseurs un arrangement
honorable.
    « À quelques heures d’intervalle, dix
personnes au moins, au hammam, à la mosquée et dans les couloirs de l’Alhambra,
me rapportèrent joyeusement la même histoire ; chaque fois, je feignais d’être
surpris pour ne pas froisser mon interlocuteur, pour lui laisser le plaisir d’ajouter
son propre grain de sel. Je souriais aussi, mais un peu moins chaque fois, car
l’inquiétude me labourait la poitrine. Je me demandais pourquoi Yahya avait
laissé les représentants de Ferdinand entrer dans la ville assiégée, surtout,
comment il espérait cacher à l’ennemi la pénurie qui tenaillait Basta si tout
le monde à Grenade, et probablement ailleurs aussi, connaissait la vérité et se
gaussait de la ruse.
    « Mes pires craintes, poursuivait mon oncle,
allaient se confirmer, le Jour de l’An, au cours de mes conversations avec les
visiteurs de l’Alhambra. J’appris en effet que Yahya, « Combattant de la
Foi », « Glaive de l’Islam », avait décidé non seulement de
livrer Basta aux infidèles, mais de se joindre aux troupes castillanes pour
leur ouvrir la route des autres villes du royaume, notamment Guadix et Almeria,
et finalement Grenade. L’habileté suprême de ce prince avait été de distraire
les musulmans au moyen de sa prétendue ruse afin de cacher l’objet véritable de
ses pourparlers avec Ferdinand. Il avait pris sa décision, dirent certains, en
échange d’une importante somme d’argent, de la promesse de vie sauve pour ses
soldats ainsi que pour les habitants de sa ville. Mais il avait obtenu plus
encore : se convertissant lui-même à la foi du Christ, cet émir de la
famille royale, ce petit-fils de sultan, allait devenir un haut personnage de
la Castille. Je te reparlerai de lui.
    « Au début de l’année 895, on ne soupçonnait
évidemment pas qu’une telle métamorphose fût possible. Mais, dès les premiers
jours du mois de moharram, les nouvelles les plus alarmantes nous
parvenaient. Basta capitula, suivie de Purcena, d’Almeria, puis de Guadix.
Toute la partie orientale du royaume, où le parti de la guerre était le plus
puissant, tombait sans coup férir aux mains des Castillans.
    « Le parti de la guerre avait perdu son
héros, et Boabdil était débarrassé d’un rival gênant ; toutefois, les
victoires des Castillans réduisaient son royaume à bien peu de chose, à Grenade
et à ses environs immédiats, eux-mêmes soumis à des incursions répétées. Le
sultan devait-il se réjouir ou se lamenter ?
    « C’est à des moments pareils, disait mon
oncle, que se révèle la grandeur ou la mesquinerie. Et c’est cette dernière que
j’ai lue clairement sur le visage de Boabdil, le Jour de l’An, dans la salle
des Ambassadeurs. Je venais d’apprendre la cruelle vérité sur Basta par un
jeune officier berbère de la garde qui avait de la famille dans la ville
assiégée. Il venait souvent me voir au secrétariat d’État, et il s’était
adressé à moi car il n’osait aborder directement le sultan, surtout pour lui
annoncer un malheur. Je le conduisis immédiatement auprès de Boabdil, qui l’invita
à lui faire son rapport à voix basse. Penché vers l’oreille tendue du
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