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L'envol des tourterelles

Titel: L'envol des tourterelles
Autoren: Arlette Cousture
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reporté la chose d’année en année, ne sachant comment dénouer l’écheveau de mes mises en scène et de mes mensonges, mensonges pieux, Adam, tous inventés pour te protéger. Maintenant que tu as quinze ans, je ne peux plus attendre et il faut que je t’informe du chemin que tu as parcouru. Je t’en prie, quand tu liras la prochaine phrase, surtout ne lève pas les yeux. Tu n’es pas mon fils
.
    Pendant la guerre, j’ai été envoyé à Cracovie, au Wawel, où nous avions établi le siège du gouvernement de Pologne. Ton père y travaillait. Il était historien et on l’avait «mandaté» pour réécrire l’histoire, ce qui est honteux. Ne crois jamais un livre d’histoire.Maintenant que je sais comment l’histoire est écrite, je me méfie de la mémoire de l’homme. Ton père, donc, travaillait au Wawel. Il a attiré mon attention par ce jeu, qu’il jouait admirablement bien, de vouloir passer inaperçu. J’ai fouillé dans les dossiers et j’ai appris qu’il était aussi violoncelliste et marié à une musicienne. J’ai aussi su que ta mère était le professeur le plus en vogue de Cracovie. Je ne savais comment faire leur connaissance, ayant envie de jouer avec eux, las des soirées avec mes collègues, qui buvaient de la bière entre deux mouvements ou racontaient leur horreur quotidienne avant une berceuse. Un jour, les forces allemandes ont coulé, au large des côtes de l’Angleterre, l’«Empress of Britain», un navire qui transportait des enfants au Canada pour les mettre à l’abri de nos bombes! J’étais scandalisé et honteux d’appartenir à un pays qui avait fait une chose aussi barbare. Je me suis donc réfugié dans un cagibi et m’y suis défoulé en frappant le mur de mes poings et de mes pieds avant de découvrir que j’étais dans le «bureau» de ton père, qui me regardait, terrifié, convaincu que j’allais le mettre aux arrêts pour le bâillonner. Je n’en fis rien, mais sortis la tête haute et en claquant les talons
.
    Ce jour-là, j’ai demandé que l’on réquisitionne une pièce chez tes parents et je suis allé y habiter. J’espérais que ton père comprendrait qu’il était désormais protégé, mais je crois qu’il a plutôt cru qu’il était espionné. Je leur ai remis des coupons de rationnement pour qu’ils achètent de la nourriture, mais ta mère les utilisait uniquement pour moi. Je ne pouvais parler, Adam. J’ai fait venir ma flûte et je leur ai demandé si je pouvais me joindre à eux, ce qu’ils n’ont pasosé refuser. Nos premières soirées musicales ont été tendues, mais ta mère a déclaré que ces heures seraient des heures de trêve et j’ai sincèrement cru que nous nous apprivoisions. Ton frère Jan et ta sœur Élisabeth étaient tous les deux d’extraordinaires violonistes – ton frère était incontestablement le meilleur – et je trouvais terriblement injuste que la guerre mette une sourdine à leur musique. Tes parents recevaient régulièrement la visite de Meister Porowski, le professeur de musique de ta mère. Je crois que c’est le plus grand musicien que j’ai connu, et il m’a fait dire – il ne m’adressait jamais la parole puisque j’étais l’ennemi – qu’il s’inclinait devant mon talent. Oh! Adam, si seulement j’avais pu le remercier! Si seulement j’avais pu lui faire savoir qu’il ne courait aucun danger avec moi! Je me souviens d’avoir monté son vélo dans l’appartement pour empêcher qu’il ne soit volé. Dieu ait son âme!
    Quant à toi, tu m’as adopté le jour de mon arrivée. J’étais parfois gêné devant tes parents, surtout le jour où tu leur as dit que j’étais la seule grande personne qui fût ton amie. Ta mère toléra ma présence, faisant taire sa peur. Quand j’avais pris connaissance du dossier de ton père, j’y avais lu qu’il avait été pris dans la rafle de l’université de Cracovie et envoyé dans un camp d’où il était sorti à moitié mort. Ton père me détesta toujours profondément, viscéralement, se méprenant sur tout ce que je lui disais. C’était un intellectuel, qui aimait tout analyser. Il était peut-être compétent pour comprendre le passé, mais je lui aurais donné zéro pour sa lucidité quant au présent. Moins d’un an avant la fin de la guerre, en juin 44, Hitler a échappé à une nouvelle tentative d’assassinat – un vrai chat. J’avais fait partie des conspirateurs et j’ai étéamèrement déçu de cet échec.
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