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Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Titel: Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
Autoren: Stephen Crane
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capable de les considérer à la manière d’un spectateur, et de les critiquer avec une certaine justesse, car dans sa nouvelle situation il avait déjà rejeté certaines attaches.
    Son ami aussi semblait pris dans quelque introspection, car subitement il fit un geste et dit : « Oh Seigneur ! »
    – « Quoi ? » demanda l’adolescent.
    – « Oh Seigneur ! » répéta son ami. « Tu connais Jimmie Rogers ? Hé bien… Seigneur ! Quand il était blessé, je suis parti lui chercher un peu d’eau, et malédiction ! Je ne l’ai plus revu depuis ce moment-là… J’ai complètement oublié ce que je… dites moi, est-ce que quelqu’un a vu Jimmie Rogers ? »
    – « L’ai vu ? Non ! il est mort » lui répondit-on.
    L’ami lâcha un juron.
    Mais l’adolescent, considérant la procession qui défilait dans sa mémoire, se sentit heureux et sans regret, car ses exploits devant tous y paradaient sur une grande et brillante éminence. Ces performances dont ses compagnons furent les témoins, défilaient maintenant dans la pourpre et l’or à foison ; avec de nombreuses variations. Ils avançaient gaiement en musique. C’était un plaisir de les contempler. Il passa des minutes délicieuses à voir ces images dorées de sa mémoire.
    Il voyait qu’il était bon. Il se rappela avec un frisson de joie les commentaires respectueux de ses compagnons sur sa conduite. Il se dit encore la phrase du lieutenant fou : « Si j’avais dix mille chats sauvages comme toi, j’en aurais fini avec cette guerre en moins d’une semaine. » C’était un petit couronnement.
    Néanmoins, le fantôme de sa fuite lors du premier engagement lui apparut et dansa devant lui. Les échos de son terrible combat contre les forces conjuguées de l’univers parvinrent à ses oreilles. De petits cris dans son cerveau résonnaient à propos de la chose. Durant un moment il rougit et la lumière de son âme vacilla sous le poids de la honte.
    Pourtant, il se trouvait à présent une explication et une excuse. Il se dit que ces moments de tempêtes étaient les furieux errements et les erreurs d’un novice qui ne savait pas. Il n’avait été qu’un homme simple qui protestait contre sa condition, mais maintenant, il en était sorti et pouvait voir que tout était juste et convenable. À tout chose malheur est bon comme on dit. En vérité la Providence fût bonne pour lui, elle l’avait gentiment poignardé et diligemment assommé pour son propre bien. Dans sa révolte il fût très impressionnant sans doute, et sincèrement anxieux pour le sort des hommes ; mais maintenant qu’il était sauf, sans avoir été blessé, il fût clair pour lui subitement qu’il avait eu tort de n’avoir pas embrassé le poignard et de ne s’être pas soumis à la massue de la providence : il s’était sottement défilé.
    Mais le ciel lui pardonnera. Il est vrai, admit-il, qu’il est courant de crier au diable quand des personnes refusent de se soumettre au destin qu’ils ne comprennent pas, mais, pensa-t-il, au ciel les étoiles réagissent autrement. Le soleil imperturbable rayonne indifféremment sur l’offense comme sur l’adoration.
    Comme Fleming fraternisait ainsi à nouveau avec la nature, il sentit sur lui l’ombre d’un reproche. Et là se dressait le souvenir tenace du soldat aux haillons, lui qui, transpercé de balles et défaillant d’avoir perdu tellement de sang, s’inquiétait pour la blessure imaginaire d’un autre. Lui qui avait donné ses dernières forces et tout ce qui lui restait d’esprit pour conforter le soldat de grande taille ; lui qui, aveuglé par la douleur et la fatigue, fût abandonné seul dans un champ.
    Un instant il ressentit une sueur froide, et se sentit misérable à la pensée qu’on pourrait avoir connaissance de la chose. Comme ce fantôme persistait à hanter sa vue, il donna libre cours à un cri aigu de douleur et d’irritation.
    Son ami se retourna : « Qu’est-ce qu’il y a Henri ? » demanda-t-il. Pour toute réponse l’adolescent éclata en malédictions rageuses.
    Comme il marchait le long de la bretelle qui suivait la grand-route, parmi ses compagnons qui babillaient, la scène cruelle le hanta. Elle s’accrochait tout le temps à lui, assombrissait ses visions d’exploits en pourpre et en or. Dans quelque sens que sa pensée se tournât, elle était poursuivie par le sombre fantôme de cette désertion dans les champs. Il regardait furtivement ses
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