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Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Titel: Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
Autoren: Stephen Crane
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grand et amère reproche.
    Le régiment saignait abondamment. Les bleus commençaient à tomber par grappes avec de sourds gémissements. Le sergent d’ordonnance de la compagnie de l’adolescent fût touché à la joue. Ses tendons ayant été arrachés, sa mâchoire pendait très bas, découvrant l’antre large de sa bouche qui n’était plus qu’une bouillie sanguinolente et pulsante de chair et de dents. Et avec tout ça il essayait de crier. Dans ses tentatives il y avait une gravité effrayante, comme s’il croyait qu’un seul grand cri le soulagerait.
    L’adolescent le voyait à présent qui allait vers l’arrière. Sa force ne paraissait pas le moins du monde amoindrie. Il courait vite, jetant des yeux fous pour avoir du secours.
    D’autres encore tombèrent aux pieds de leurs compagnons. Quelques-uns des blessés rampèrent au loin vers les arrières, mais beaucoup restèrent inertes, leurs corps tordus en des formes impossibles.
    L’adolescent chercha des yeux son ami un moment. Il vit un jeune homme véhément, barbouillé de poudre, repoussant de saleté, et il sut que c’était lui. Le lieutenant aussi n’était pas touché dans sa position à l’arrière. Il continuait à jurer, mais maintenant c’était avec l’air de quelqu’un qui usait de sa dernière réserve.
    Car le tir du régiment avait commencé à décroître, jusqu’aux coups sporadiques et la voix robuste, qui venait étrangement de rangs si mince, faiblissait rapidement.

CHAPITRE VINGT-TROISIÈME
     
    Le colonel arriva au galop derrière la ligne, suivi par d’autres officiers. « On doit les charger ! » criaient-ils. « On doit les charger ! » criaient-ils avec hargne, comme s’ils prévenaient un refus d’obéissance de la part des hommes.
    L’adolescent en entendant les cris, commença à estimer la distance entre lui et l’ennemi. Il fit de vagues calculs. Il voyait bien que pour faire preuve de courage les soldats devaient aller de l’avant. Ce serait la mort de rester dans cet endroit-ci, et avec tout ce qui s’était passé un recul ferait la joie de pas mal de gens. Leur espoir était de pousser leurs agaçants adversaires loin de la clôture.
    Il s’attendait à ce que ses compagnons, exténués et engourdis, doivent être entraînés à l’assaut ; mais comme il se tournait vers eux, il s’aperçut, avec une certaine surprise, qu’ils furent rapides à exprimer leur assentiment sans frein. Il y eut une fracassante et terrible annonce de l’attaque, quand les couteaux des baïonnettes raclèrent sur les canons des fusils. Aussitôt qu’on hurla l’ordre de charger, les soldats bondirent en avant à grands pas avides. Il y avait une force nouvelle et inattendue dans le mouvement du régiment. Sachant son état exténué et déplorable on comprenait l’attaque comme un paroxysme d’effort, la démonstration de force qui précède la faiblesse définitive. Les hommes couraient avec une hâte fiévreuse et folle, comme s’ils voulaient achever une réussite éclair, avant que leur ivre exaltation ne finisse. Ce fût la ruée aveugle et désespérée d’une formation d’hommes, en tenues délabrées et poussiéreuses, sur le gazon vert et sous le ciel de saphir, vers une barrière vaguement délimitée par la fumée, et derrière laquelle crachotaient les rafales furieuses des fusils ennemis.
    L’adolescent garda le brillant étendard pointé vers le front d’attaque. Il agitait sa main libre en des cercles furieux, pendant qu’il hurlait comme un fou des appels et des cris aigus, pressant ceux qui n’en avaient nullement besoin ; car il semblait que la troupe des bleus, qui se jetait carrément sur le dangereux groupe de fusils, était subitement à nouveau exaltée par l’enthousiasme du sacrifice. Le feu nourri qu’on leur adressait ne semblait à peine réussir qu’à semer un grand amas de cadavre entre leur position de départ et la barrière. Mais l’état frénétique dans lequel ils étaient, à cause peut-être des vanités oubliées, donnait un spectacle de sublime témérité. Manifestement ils ne se posaient pas de questions, ne prévoyaient rien, n’imaginaient rien. On n’avait, apparemment considéré aucune échappatoire. Il semblait que les ailes rapides de leurs désirs auraient tenté de forcer même l’impossible.
    Lui-même ressentait son esprit d’une audace et d’une sauvagerie digne d’une secte de fous. Il était capable de profonds sacrifices, il
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