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Le sang des Dalton

Le sang des Dalton

Titel: Le sang des Dalton
Autoren: Ron Hansen
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par-delà la rampe, les fermiers, les commis et les secrétaires pantelants qui se taisaient ou échangeaient des murmures, tandis que les enfants se tassaient sur leur siège comme si j’étais un ogre qui se repaissait de petits nez ou d’orteils. Certaines fois, je saluais avec mon chapeau blanc, d’autres fois, je dédicaçais un programme poussé en direction de mes luxueuses bottes en peau de lézard ; ensuite Tackett adressait un signal en direction de la cabine de projection et j’allais prendre place sur une chaise à côté des câbles du rideau, en coulisses, dos à l’écran, cependant que trois vils bandits brandissant deux revolvers chacun sortaient pliés en deux de la banque Condon et traversaient à toutes jambes la rue pavée de briques jusqu’à une ruelle en terre depuis laquelle deux autres hors-la-loi patibulaires en redingote faisaient feu avec leurs pistolets sur les employés d’une quincaillerie.
    Il était deux heures du matin dans ma maison d’Hollywood quand je me suis vu, une botte dans un étrier de ma selle d’où pendait un sac d’argent, blessé, le bras pendant dans ma manche droite, guettant du regard les indications du réalisateur caché derrière la caméra cliquetante. J’ai fait faire une brusque volte-face à ma monture rétive et elle s’est dérobée, effarouchée par la fumée artificielle bleue et le crépitement de la fusillade, alors que des acteurs avec des fusils et des brassards élastiques aux manches se précipitaient à la curée dans la rue. Je me suis élancé à la rescousse de mon frère Bob au milieu des tirs croisés et, sans ralentir l’allure, je me suis penché aussi bas que je le pouvais pour le saisir, les doigts dégouttants de sang.
    Je suis resté devant ce film bruni et rayé jusqu’à son dénouement abrupt, puis le projecteur a soudain affiché un carré de lumière blanc et je suis demeuré là, à écouter la pellicule se dévider sur les galets d’entraînement et s’enrouler sur la bobine réceptrice.
    Jesse James avait été abattu le dos tourné, Bob Younger était décédé de la tuberculose, ses frères Jim et Cole avaient été relâchés en liberté conditionnelle d’une prison du Minnesota au bout de vingt-cinq ans, après une condamnation à perpétuité. Jim avait déniché une place de représentant de commerce et s’était suicidé en 1902. Cole avait consacré les dernières années de sa vie à donner des conférences dans les fêtes foraines sur le crime et ses ravages. Quant à Frank James, juste avant qu’il meure de consomption en 1915, son métier consistait à faire le pied de grue devant un cinéma et à contrôler les billets des gamins.
    Et Emmett Dalton passait ses dernières années à Hollywood, ou à déambuler dans les rues de Coffeyville, entouré d’une foule d’adultes et d’enfants qui observaient bouche bée la clôture couverte de vesce près de laquelle nous avions attaché nos chevaux à un tuyau, ou les cagettes de pêches s’empilant derrière un restaurant qui avait remplacé la grange où s’était réfugié mon frère Bob agonisant.
    Bob est mort ; voilà ce que je regrette. Quelquefois, il me semble que je ne cesse de plonger dans le passé pour tâcher de le sauver.

2
    Les célèbres frères Dalton ont tous, à un moment ou à un autre, été gardiens de la paix en territoire indien. Le meilleur d’entre nous était mon frère Frank, qui fut abattu par des contrebandiers de whisky, un dimanche matin, en novembre 1887. Il était alors marshal sous les ordres du juge Isaac Parker, affecté aux nations Choctaw et Chickasaw dans ce qui allait devenir l’Oklahoma. Il recevait deux malheureux dollars par criminel qu’il ramenait au tribunal fédéral de Fort Smith, en Arkansas, et les éventuels frais d’enterrement étaient déduits de sa paye. Il ne devait donc guère escompter une grosse rallonge d’argent de poche lorsque son adjoint Jim Cole et lui eurent vent que la bande de Bill Smith vendait de l’eau-de-vie aux Indiens depuis un camp dans le bassin de la rivière Arkansas.
    Ils chevauchèrent entre les joncs de trois à cinq heures du matin. Leurs montures pataugeaient dans la brume qui tapissait les marécages. Puis le soleil se leva et mon frère et son adjoint aperçurent au milieu du vert du marais un chapiteau blanc pourvu de murs en boue et en hickory. Frank et Cole attachèrent leurs chevaux, ils s’approchèrent du camp à plat ventre jusqu’à ce qu’ils
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