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Le sang des Dalton

Le sang des Dalton

Titel: Le sang des Dalton
Autoren: Ron Hansen
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palpable pour moi que le verre dégoulinant de condensation que je tenais à la main et j’avais l’impression que, peu auparavant encore, je n’étais qu’un adolescent affalé contre un abri en gazon en territoire indien, observant Bitter Creek Newcomb qui avançait dans les hautes herbes jaunes jusqu’à la mare à bisons pour contempler la blanche hostie de la lune à la surface de l’eau. J’entendais le clapotis mat du skimmer de la piscine, comme la fille en sous-vêtements glissait jusqu’à l’échelle jouxtant le plongeoir, mais tout ce que je voyais, c’était mon frère Grat soulevant la couverture navajo de l’abri, puis s’appuyant d’une épaule contre la paroi en boue, une cruche pleine de gnôle pendue au majeur tandis que les chevaux hennissaient faiblement dans l’enclos ; mon frère avait scruté le vide de la nuit en se grattant et lâché : « Je m’étais pas autant marré depuis le cirque. »
    Je m’en suis revenu vers la maison et j’ai aperçu, sur la véranda treillissée où je prenais d’ordinaire le petit déjeuner, des journalistes qui photographiaient Julia en maman timide et confondue, enlaçant quatre de ses joyeux invités : Andy Devine, Frank Albertson, Broderick Crawford et Brian Donlevy  – les derniers avatars hollywoodiens en date de Grat, Bill, Bob et moi. Ils faisaient les clowns et imitaient le maniement des pistolets avec le pouce et l’index ; Julia paraissait s’amuser autant que faire se peut, dans sa robe de soirée bleu marine, avec son collier de perles, en ravissante hôtesse de soixante-quatre ans, qui ressemblait cependant moins aux dames distinguées à demi faméliques présentes ce soir-là qu’à l’épouse d’un épicier ou à une solide fermière donnant le grain aux poulets tous les matins.
    Les journalistes m’ont remarqué et ils m’ont appelé pour que je pose d’abord avec ma femme, puis tout seul à côté de l’affiche de cinéma accrochée au mur sous verre dans un cadre. Je suppose qu’ils s’imaginaient que je sourirais à l’objectif avec un couteau entre les dents et un pistolet dans chaque main, puis que je viderais mon barillet d’une seule traite en faisant sonner et rebondir une boîte de café à travers tout le patio, mais quarante-cinq ans s’étaient écoulés depuis l’époque où j’étais un gosse et où je rêvais de devenir célèbre ; je n’avais plus envie de faire les gros titres. Le seul cliché auquel leurs rouleaux de pellicule noire eurent droit fut celui d’un type dégingandé à l’air hagard, un verre à la main : Emmett Dalton dans un costume anthracite, riche homme d’affaires souffrant d’élancements à la hanche, fort de quatorze années d’éducation carcérale, qui jouait au golf avec des banquiers, y allait de sa poche pour les bonnes causes et discutait au téléphone avec le gouverneur.
    Je me suis rendu à la cuisine, j’ai mis mon verre dans l’évier et je me suis allumé une cigarette. Julia est arrivée de la salle à manger avec un plateau sur lequel étaient disposés de la laitue et un dessert gélatineux, qu’elle a rangé sur une étagère du Frigidaire. Elle s’est essuyé les mains avec une serviette et m’a demandé :
    « Pourquoi tu fronces les sourcils ?
    — J’ai mal.
    — J’ai de l’aspirine.
    — Je crois que je vais plutôt souffrir un moment.
    — Songe à combien ils s’amusent… »
    Mon épouse est repartie avec un torchon qu’elle venait d’essorer et j’ai gravi l’escalier en chêne menant à mon bureau pendant qu’un musicien prénommé Fernando transbahutait la batterie du groupe jusqu’à un bus scolaire à l’extérieur. J’ai ouvert avec ma clé, refermé la porte derrière moi et marqué une pause sur le seuil de cette pièce marron sombre qui fleurait les vieux journaux. Je me suis assis à une table de bibliothèque sur laquelle s’étalaient peut-être une cinquantaine d’ouvrages sur les Dalton maintenus ouverts par des briques ou aux pages marquées par des morceaux de papier jaunes. Aux murs étaient encadrés sous verre des avis de recherche brunis, les maquettes rouges et bleues d’affiches de plusieurs films sur la bande des Dalton et la première page de trois journaux datés du 5 octobre 1892. Dans une armoire en acajou étaient entreposés des articles de magazines, mensongers pour la plupart, tandis que, dans une seconde armoire, je conservais les dossiers plus fiables du marshal adjoint
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