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Le sang des Dalton

Le sang des Dalton

Titel: Le sang des Dalton
Autoren: Ron Hansen
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    Quand le marshal Frank Dalton fut abattu par des contrebandiers de whisky en 1887, le gouvernement fédéral renvoya son corps à Coffeyville, au Kansas, dans un cercueil en acajou rempli de glace. Lape, le croque-mort, apprêta le visage et les cheveux de mon frère avec de la cire et son corps fut transporté jusqu’au cimetière d’Elmwood dans un élégant corbillard noir dont les vitres ne déformaient pas les objets.
    Quand mes frères Bob et Grat Dalton se firent abattre en 1892, leurs cadavres furent photographiés debout, en chaussettes, menottés, et ils restèrent toute la nuit par terre dans la prison de Coffeyville, des mouches bleues leur parcourant le visage. Certaines femmes prélevèrent des mèches de leurs cheveux et des morceaux de leurs vêtements avec des ciseaux à cranter et les cartouches qu’ils avaient encore à la ceinture furent vendus un dollar pièce.
    Et quand Bill se fît descendre par un marshal et son détachement en 1894, on exposa son corps dans un cercueil vitré jusqu’à ce qu’il soit passablement décomposé. Des curieux firent le déplacement en train du Texas, du Kansas ou de l’Oklahoma et des milliers de personnes s’entassèrent dans le salon funéraire pour défiler devant le dernier des célèbres Dalton et le contempler avec solennité.
    J’ai pour ma part coulé ces dernières années à Hollywood, en Californie, où, j’imagine, une de ces nuits, je passerai à la postérité dans mon sommeil, en pyjama rayé, la bouche ouverte, avec une dizaine de flacons de médicaments sur ma table de chevet. Nous sommes en 1937, j’ai soixante-cinq ans et je ne suis pas l’homme que j’étais parti pour être ; je suis agent immobilier, entrepreneur en bâtiment, scénariste de westerns ; pratiquant, rotarien et membre de l’ordre de Moose, une société de secours mutuel : châtiment plus que mérité pour un desperado de l’Ouest d’antan et pour le petit Emmett que j’étais autrefois, et qui me fournissait matière à penser ce soir-là, planté au milieu de ma pelouse verdoyante, avec un verre de soda au gingembre qui tintait dans ma main tavelée tremblotante.
    Une fille que je ne connaissais pas faisait des longueurs, seule, dans la piscine en sous-vêtements de satin, pendant que, dans la salle à manger, les musiciens d’un groupe de La Havane aux cheveux noirs brillantinés et aux manches à volants jouaient de la trompette et des castagnettes. Une semaine plus tôt, ma femme et moi étions rentrés de Coffeyville, où j’étais devenu célèbre : une sorte de soirée organisée pour le retour de l’enfant du pays ; mais c’était aussi une célébration, car un studio de cinéma venait d’acheter mon second livre, Nous, les Dalton, de sorte que j’étais un peu plus riche. Des stars du cinéma en pantalon blanc de flanelle musardaient autour de la table de billard, un pull noué autour du cou ; un maquilleur juché sur notre canapé en velours côtelé blanc, à côté de ma corpulente et philanthrope épouse, partait d’un rire haut perché à chacune des réflexions qu’elle faisait et lui certifiait qu’elle était délicieuse.
    Si je regagnais mon imposante villa blanche aux airs sud-américains, des femmes à la chevelure platine, en robe moulante et au parfum piquant comme de l’oignon, me supplieraient de leur montrer mon revolver enveloppé dans une pièce de velours ou me questionneraient sur la bande des Dalton, escomptant bien que je les subjugue, que je me mue en faire-valoir bavard, et me livre à cœur ouvert, comme si toutes ces années de banditisme n’étaient qu’une fable, un conte folklorique ou le numéro d’un saltimbanque mâcheur de verre. Si je retournais à l’intérieur, j’y trouverais un jeune domestique se coltinant un chariot de boissons et un plateau de canapés tartinés d’œufs de poisson, le vice-président d’un studio embrassant dans le cou l’épouse d’un autre homme, ou un chef électricien avec une ceinture de smoking rouge apprenant la rumba avec une dactylo. Et je pourrais me voir dans un vieux film muet vacillant, projeté sur le mur du séjour, où un Emmett Dalton adulte brandissait un six-coups sous le nez d’un caissier dans une banque, tandis que des danseurs s’interposaient, se frôlaient devant l’écran, de sorte qu’une femme portait mon étui dans le dos et qu’un tiroir-caisse plein de pièces décorait l’épaule d’un homme en smoking.
    Le passé était plus
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