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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre
Autoren: Henri Troyat
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tant de garçons disponibles.
    Cette impression favorable se confirma à la banque. Quatre ou cinq clients attendaient devant la caisse, mais, lorsque Volodia voulut prendre son rang dans la file, un employé se précipita vers lui et le salua d’un sourire obséquieux :
    — Ne vous donnez pas cette peine, monsieur Bourine. Fédor Fédorovitch sera si heureux de vous recevoir ! Il y a bien longtemps que nous n’avons eu le plaisir de votre visite !
    Effectivement, Fédor Fédorovitch, fondé de pouvoir de la banque Junker, accueillit Volodia dans son bureau avec une amabilité réconfortante. Pour la première fois, depuis de nombreuses années, Volodia fut sensible à la politesse de ce petit homme au profil de marmotte. Subitement, il avait la conviction qu’il était apprécié de tous, et que son retour à Moscou remplissait de joie des centaines de personnes aussi dissemblables que l’employé, le cocher de fiacre ou le fondé de pouvoir. Or, plus que jamais, il avait besoin de se savoir aimé. Après trois mois de vie monotone en Norvège, sa soif de sympathie était devenue inextinguible, dévorante.
    — Que pense-t-on de la guerre, en Norvège ? demanda Fédor Fédorovitch.
    — Qu’elle se terminera bientôt. Ils sont de tout cœur avec les Alliés. Même les socialistes… Moi, je suppose qu’au printemps 1915 l’Allemagne sera démembrée.
    Fédor Fédorovitch avança la moustache d’un air dubitatif, baissa la tête et dit d’une voix chétive :
    — J’ai un fils qui est là-bas, dans les sapeurs.
    — Ah ! oui ! marmonna Volodia.
    Et il rougit un peu.
    — Oui, il écrit que c’est dur.
    — Quel âge ?
    — Vingt-quatre ans.
    Volodia se sentit soulagé.
    — Moi, dit-il, en tant que fils unique, exempté du service militaire, je suis classé dans les territoriaux de la deuxième réserve. Feuillet bleu. Je… je ne suis pas encore mobilisable. À Christiania, le consul de Russie m’a donné des apaisements officiels à ce sujet…
    Tout en parlant, il s’irritait contre lui-même. Quel besoin éprouvait-il d’expliquer sa conduite au fondé de pouvoir de la banque Junker ? Cet homme lui était à peine connu et ne méritait aucune confidence. Mais Volodia ne pouvait plus se taire. Avec une espèce de hâte bavarde, il exposait son cas et quêtait les approbations :
    — Oui, croyez-moi, ce séjour n’a pas été drôle. J’avais très peu d’amis en Norvège. Et puis, la pensée constante de notre pays en guerre, de nos difficultés, de nos pertes…
    La phrase sonnait faux. Volodia toussota nerveusement pour éclaircir sa voix.
    — Vous vous étiez rendu en Norvège pour les affaires des Comptoirs Danoff, sans doute ? demanda Fédor Fédorovitch.
    De nouveau, Volodia se troubla et son regard inquiet glissa sur le visage du fondé de pouvoir. Mais il était peu probable que Fédor Fédorovitch fût au courant de ses démêlés avec Michel. Sûrement, le secret avait été gardé avec soin. Volodia domina son inquiétude et dit :
    — Oui, pour les affaires des Comptoirs Danoff.
    — Quel dommage que Michel Alexandrovitch se soit cru obligé de quitter la direction des Comptoirs pour s’engager comme volontaire ! C’est un geste très noble, très patriotique, mais, commercialement, c’est une erreur. Ici, nous ne l’avons pas compris. Nous l’avons admiré, mais nous ne l’avons pas compris. Êtes-vous passé à leur siège social ?
    — Non, pas encore, dit Volodia en détournant les yeux. Je viens d’arriver.
    — Ce matin ?
    — Il y a deux heures. Le temps de poser mes bagages, ma première visite a été pour vous. Je voudrais surtout avoir mon relevé de compte.
    — Rien de plus facile, dit Fédor Fédorovitch.
    — Il ne doit plus me rester grand-chose, reprit Volodia.
    — L’argent va vite, soupira Fédor Fédorovitch.
    Et il appuya sur un bouton de sonnette.
    Lorsque Volodia se retrouva dans la rue, un sentiment bizarre de faiblesse et de dénuement encombrait sa poitrine. À travers ses calculs les plus pessimistes, il n’avait fait qu’entrevoir la gravité de la situation. Maintenant, il savait qu’il ne lui restait presque rien à la banque. Or, ayant perdu l’amitié de Michel, il ne devait plus songer à reprendre aux Comptoirs Danoff le travail lucratif et facile dont il avait bénéficié jusqu’à la déclaration de la
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