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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre
Autoren: Henri Troyat
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Sopianoff. Après la répétition. Venez nous retrouver chez  Georges , à côté.
    Et il entraîna Volodia hors du caveau.
    Le cabaret  Georges  devait sa prospérité à la clientèle des acteurs et des familiers de La  Sauterelle . Installés à une table en marbre, sous une panoplie de photographies dédicacées et de caricatures à la plume, Volodia et Ruben Sopianoff commandèrent deux verres de thé, avec du rhum et du citron. Ruben Sopianoff se frottait les mains. Sa bonne grande face charnue, aux narines larges, aux yeux vifs, rayonnait de joie.
    — Maintenant, raconte, dit-il en allumant un petit cigare grumeleux et tordu.
    — Que veux-tu que je te raconte ? prononça Volodia sur un ton prudent. Je suis parti pour affaires…
    — Quelles affaires ?
    — Des affaires personnelles.
    — C’est bien ce que je pensais, dit Sopianoff. Lioubov prétend que tu t’es brouillé avec sa sœur et son beau-frère.
    Volodia réprima un geste d’impatience.
    — C’est une sottise ! grommela-t-il en avalant une lampée de thé.
    Il se brûla la langue, et cette maladresse aggrava son mécontentement.
    — J’espérais que la guerre aurait renouvelé vos sujets de conversation, dit-il encore.
    — Puisque tu ne t’es pas brouillé avec les Danoff, tu vas reprendre ton travail aux Comptoirs ?
    — Non.
    — Pourquoi ?
    Volodia voulut se fâcher, refuser de répondre. Puis il songea que, tôt ou tard, il lui faudrait produire une explication valable de sa mésentente avec Michel et Tania. Il soupira et dit d’une voix excédée :
    — Nous ne nous sommes pas positivement querellés. Mais il y a entre nous un malentendu. Et… et il est difficile de dissiper ce malentendu, tant que Michel restera aux armées.
    — Tu me rassures, dit Ruben Sopianoff. Je craignais tout autre chose.
    — Quoi ?
    — Une histoire de femmes…
    Volodia se contraignit à rire. Ruben Sopianoff rit aussi, le ventre à l’aise, la tête renversée :
    — On ne sait jamais, avec toi. En tout cas, Lioubov m’a promis d’intervenir auprès de sa sœur, si tu le jugeais nécessaire.
    — Surtout qu’elle ne fasse rien, dit Volodia.
    Il reprit sa respiration et ajouta :
    — Je l’ai trouvée en beauté, Lioubov. Les spectacles marchent ?
    — À plein rendement. Déjà, le petit capital que j’ai placé dans l’affaire commence à bourgeonner.
    — Les recettes n’ont donc pas baissé depuis la guerre ?
    — Au contraire. Nous refusons du monde tous les soirs. Plus les gens ont d’ennuis, plus ils cherchent à se distraire. À propos, si tu as besoin d’un appui au bureau de recrutement, je connais un garçon qui te tirera facilement d’embarras. C’est grâce à lui que je suis encore un affreux civil. Si Khoudenko et Stopper m’avaient écouté, ils auraient été mobilisés à Moscou pour la surveillance des haras ou dans un service d’archives.
    — Ils sont au front ?
    — Oui et non. Khoudenko croupit en première ligne. Mais Stopper a été blessé à la jambe, au mois de septembre. Rien de grave. Il est en traitement dans un hôpital, à Moscou. Tu devrais lui rendre visite.
    Deux officiers entrèrent dans le cabaret et s’assirent non loin de Volodia et de Sopianoff. La présence des uniformes indisposait Volodia. Chaque fois qu’il en voyait un, il se sentait coupable. Sopianoff devina ses pensées et chuchota en se penchant vers lui :
    — Ils sont aussi militaires que toi et moi. Je les connais. Ils travaillent dans un bureau d’intendance.
    — Je devrais peut-être aussi travailler dans un bureau d’intendance, dit Volodia.
    — À cause de l’uniforme ou à cause de la solde ?
    Volodia se gratta le bout du nez. Au fond, il le savait bien, tout son malaise venait du fait qu’il n’avait pas encore déterminé son attitude en face de la guerre. Était-il pour ou contre la guerre ? Souhaitait-il la victoire à tout prix, ou condamnait-il cette boucherie au nom d’un idéal humanitaire ? Sûrement, les intellectuels avaient déjà pris position. Timidement, il demanda :
    — Que pense-t-on de la guerre dans les milieux cultivés ? Qu’en pensent Kitine, Malinoff, Gorki, Alexis Tolstoï, Bloch ?
    — Qu’est-ce que cela peut te faire ? Ils ne savent pas eux-mêmes ce qu’ils pensent. Ils changent d’avis d’un jour à l’autre. Malinoff est de plus en plus
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