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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre
Autoren: Henri Troyat
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et une animation virile éclaira sa figure.
    — Moi, disait Thadée Kitine, je suis un partisan de la non-violence, un émule de Tolstoï.
    — Je suis comme vous, s’écria Volodia. Et j’estime admirable que, loin de la Russie, mes opinions aient évolué dans le même sens que les vôtres. Vous ne pouvez pas imaginer combien vos paroles m’encouragent.
    — C’est curieux, dit Thadée Kitine, vous êtes le premier que mes paroles encouragent. Généralement, on me traite de défaitiste.
    — Vous n’êtes pas un défaitiste, nous ne sommes pas des défaitistes, dit Volodia précipitamment.
    — Non, dit Prychkine, nous sommes des artistes, cela revient au même.
    — Avez-vous revu Tania ? demanda Lioubov en adressant à Volodia un sourire ambigu.
    Étonné par cette question, Volodia demeura un long moment sans répondre. Lioubov le regardait de près, les paupières clignées, les lèvres entrouvertes, avec une expression de gourmandise. Visiblement, elle s’amusait de son désarroi.
    — Non, je n’ai pas revu Tania, dit Volodia avec effort. Vous savez qu’il y a entre nous un malentendu…
    Lioubov joignit les mains, et ses prunelles étincelèrent :
    — Je sais, je sais… Enfin, je suppose… C’est navrant… Ma sœur est absurde… Et son mari manque d’usages… Voulez-vous que j’intervienne ?…
    — Non.
    — Si vous m’expliquiez de quoi il s’agit…
    — Non, répéta Volodia, et il serra ses poings au bord de la table.
    — Mais pourquoi vous obstinez-vous ainsi ?
    — Écoute, Lioubov, dit Prychkine avec onction, puisque M. Bourine refuse ton offre, il serait malséant d’insister.
    — C’est dans son intérêt, susurra Lioubov.
    Et elle croisa les jambes pour montrer ses chevilles.
    Tout son joli visage, velouté et menu, au regard sombre, aux grasses lèvres de sang, signifiait le désir d’être remarquée. Volodia la devinait préoccupée constamment de roueries femelles, d’impostures amoureuses, de calculs fiévreux. Son époux, Prychkine, ne lui suffisait plus. Il lui fallait encore les aventures des autres. Celle de Volodia et de Tania en particulier. Pour l’embarrasser à son tour, Volodia demanda :
    — Comment se fait-il que Kisiakoff ne soit pas parmi nous ?
    Cependant, Lioubov ne parut nullement troublée par la question. Elle s’était réconciliée avec son premier mari. Elle répondit avec douceur :
    — Il ne va pas tarder à venir. C’est un vrai père pour moi.
    Volodia se leva en repoussant sa chaise.
    — Je m’excuse. Je dois partir, dit-il.
    Mais, une fois debout, la pensée de la soirée vide qui l’attendait le fit tressaillir de crainte.
    — Où cours-tu ? Reste donc avec nous, on soupera après le spectacle, dit Sopianoff.
    — Il fait le difficile, il ne veut pas de notre compagnie, minauda Lioubov.
    Kitine regarda sa montre :
    — Il va être l’heure de reprendre, mes enfants. Volodia se rassit et murmura en se penchant vers Lioubov :
    — Soyez gentille. Ne me parlez plus de Tania.
     
    Après le spectacle, Volodia soupa chez  Georges , avec Lioubov, Prychkine, Kitine et Sopianoff. Le voyage avait fatigué Volodia. La tête lourde, la nuque raide, il s’efforçait en vain de suivre la discussion. Ses paupières tombaient. Mais, pour rien au monde, il n’aurait accepté de quitter ces acteurs bavards, et de rentrer chez lui. Il lui paraissait évident que, loin d’eux, le froid, la solitude, allaient le saisir comme une maladie. Vers minuit, Kisiakoff vint se joindre au groupe. Volodia le revit sans déplaisir.
    Le vin aidant, il ne savait plus exactement pourquoi il avait redouté et détesté cet homme massif, à la barbe noire et aux yeux cruels. Kisiakoff commanda du champagne. On but au succès du nouveau spectacle, à la victoire des armées alliées et au retour des amis.
    Ensuite, Lioubov proposa un toast à la santé de Michel Danoff. Tous levèrent leurs coupes. Les doigts de Volodia tremblaient. Et, tandis qu’il vidait son verre, il lui semblait que les regards convergeaient sur lui et le clouaient à sa chaise. Dans le fond du cabaret, un  pianola  se mit à jouer une valse. Kisiakoff battait la mesure avec sa main volumineuse et velue. Tout à coup, cette main s’arrêta, changea de direction et se posa sur l’épaule de Volodia. Volodia frémit de répugnance et tourna
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