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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre
Autoren: Henri Troyat
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chambre, Youri :
    — Tu porteras cette lettre chez les Danoff, rue Skatertny. En passant, tu achèteras des roses.
    — La corbeille habituelle ?
    Volodia regarda Youri avec sévérité, fronça les sourcils et murmura :
    — Oui, la corbeille habituelle.
    — Je la remettrai avec votre lettre ?
    — Bien sûr.
    Youri prit la lettre et la fit sauter dans le creux de sa main :
    — Y aura-t-il une réponse ?
    — Je ne sais pas. Je ne pense pas, dit Volodia.
    Il eut envie brusquement d’arracher la lettre des mains du valet de chambre. Sa tentative de réconciliation lui semblait misérable.
    — Pendant votre absence, M. Sopianoff a téléphoné, dit Youri. Il sera au caveau de La  Sauterelle , cet après-midi. Il vous attendra.
    — Tu lui as donc dit que j’étais revenu ? demanda Volodia.
    — Il téléphonait tous les jours, depuis une semaine. J’ai cru que c’était urgent…
    — Rien n’est urgent, dit Volodia.
    Et il retourna s’allonger sur le lit. Au bout d’une demi-heure environ, il se sentit plus calme, presque heureux, et résolut de changer de costume pour sortir. Après un court débat intérieur, il choisit, pour s’habiller, un complet neuf, couleur gris de fer, à raies bleues, une cravate de soie bleu clair, des chaussures à bouts pointus. La glace lui renvoyait l’image d’un homme séduisant, jeune, sûr de lui. Il avait un peu maigri en Norvège : les soucis, le changement de nourriture. Les os maxillaires saillaient sous la peau lisse de ses joues. Ses yeux verts avaient pris de la profondeur. Volodia cueillit de petits ciseaux courbes sur la table du cabinet de toilette et coupa les quelques poils qui poussaient hors de ses narines. Puis, il lustra au cosmétique sa moustache blonde et mince, écarta ses lèvres, examina ses dents en inclinant la tête. Comme toujours, cette contemplation lui procura un surcroît de force et de bonne humeur. Il jouissait de sa santé, de la finesse de son linge et de la couleur discrète de ses vêtements. S’étant changé de pied en cap, il parfuma le revers de son veston et fourra un mouchoir de soie dans sa poche. Au moment de quitter l’appartement, il se ravisa et passa un coup de chiffon sur son porte-cigarettes en or. Il avait oublié le compte en banque. Il se découvrait riche et inaltérable : « Je suis un type extraordinaire. Pas moyen de m’abattre. Au plus profond du désespoir, je tape du talon, et la vie recommence. »
    Il répéta cette phrase en dévalant l’escalier de la maison : « La vie recommence, la vie recommence… »
    Dans la rue, la morsure du vent lui fut agréable. Dédaignant les cochers, rangés en file, qui interpellaient les passants, il se dirigea d’un pas vif vers le centre de Moscou.
    Le soir tombait, lorsqu’il arriva devant le caveau de La  Sauterelle .  À la porte, étaient placardées les affiches du nouveau spectacle. La lumière confidentielle des lampes de secours conduisit Volodia jusque dans la salle. Dans la pénombre, il distingua un groupe d’hommes, assis sur des bancs, qui discutaient à voix basse.
    Le directeur, Thadée Kitine, feuilletait une brochure en bougonnant :
    — Je vous assure, mon bon ami, il faut couper cette réplique. Elle risque de nous faire emboîter. Et Prychkine ne la sent pas.
    Sur la scène, quelques acteurs, parmi lesquels Volodia reconnut Lioubov et Prychkine, buvaient du thé en attendant de reprendre la répétition. Ruben Sopianoff écrasait de son poids le tabouret du piano. À ses côtés, se tenait une petite femme frisée, à la croupe forte et aux seins péremptoires. Il riait en lui parlant. Et, de temps en temps, ses doigts frappaient une touche, au hasard, sur le clavier.
    — Eh ! Ruben ! dit Volodia. Je suis revenu.
    Entendant la voix de son ami, Ruben Sopianoff se dressa d’un bond et descendit le maigre escalier qui menait au parterre.
    — Enfin, te voilà ! hurlait-il. Sacré lâcheur ! Qu’est-ce qui t’a pris de partir pour la Norvège ? On devrait te faire passer devant le conseil de guerre !
    — Ne restons pas ici, nous pourrions les gêner, dit Volodia.
    Lioubov, à son tour, s’était avancée vers le bord de la scène. La main devant les yeux, pour se protéger des lumières de la rampe, elle cria :
    — Volodia, vous êtes là ? J’aimerais vous voir.
    — Plus tard, dit Ruben
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