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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août
Autoren: Michel Pagel
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hasard des contrées et de votre inspiration, vous nous appelez fées, fadets, lutins, tritons, trolls, que sais-je encore ? Et que serais-je, moi, selon cet inventaire ? Une nymphe ou une sirène, peut-être. Mesures-tu l'ineptie de la chose ? Vous voyez en nous des dizaines de races différentes, dont certaines uniquement masculines ou féminines, Comment nous reproduirions-nous, je te le demande ? Oh, nous ne sommes pas tous semblables, non, loin de là. Ceux des rivières ne ressemblent pas à ceux des pierres, qui ne ressemblent pas à ceux des forêts, mais nous formons un seul peuple. Il n'y a pas plus de différences entre nous qu'entre un Franc et un Arabe, entre un Arabe et un Mongol. Nous ne sommes pas très différents de vous non plus, à y bien regarder. Après tout, c'est aussi la Terre qui vous a engendrés, même si vous avez cru bon d'oublier sa magie et de vous inventer un créateur.
    Philippe grinça des dents devant ce nouveau blasphème.
    — Dieu t'entend et te pardonne, dit-il, reprenant une des formules favorites de son oncle, l'archevêque Guillaume.
    — Grand bien lui fasse, railla Lysamour avec une ironie mauvaise. Moi, je ne pardonne pas. Je ne pardonnerai jamais.
    Elle se leva, soudain furieuse, pour aller se planter au pied du lit, les mains sur les hanches, la poitrine palpitante. Sa totale impudeur, qui avait tant troublé le garçon, ne lui inspirait plus que répulsion.
    — Mais j'en reviens à mon histoire, continua-t-elle d'une voix où vibrait une colère contenue. Ainsi donc, il y a plus de deux siècles, un grand seigneur est venu à passer près de mon logis. C'était l'été, comme aujourd'hui. Il chassait, comme toi, et, comme toi, il avait été séparé des veneurs – dans son cas par le plus grand des hasards. Je n'avais rien contre vous, en ce temps-là, je vous prenais pour nos égaux ; je t'ai dit que j'étais sotte. (Elle secoua la tête, consternée.) Il était beau. Il m'a plu. Je lui ai permis de me voir, et il s'est passé… ma foi, à peu près ce qui s'est passé entre nous, petit prince, sauf que lui n'a pas eu peur : la religion ne l'aveuglait pas autant que toi. Nous nous sommes aimés toute une nuit. Ensuite, il est souvent revenu me voir, chaque fois qu'il pouvait échapper à la vigilance de sa femme. Si souvent que j'ai fini par porter son fils. (Elle se laissa à nouveau aller sur la couche, s'étendant auprès de Philippe, appuyée sur un coude.) Tu vois que nous ne sommes pas si différents puisque nous pouvons nous féconder.
    Lysamour, d'une main distraite, caressait la poitrine du garçon, lequel n'eût pas frémi autrement au contact d'un serpent.
    — Et cet homme t'a abandonnée, c'est ça ? demanda-t-il pour exorciser sa crainte et son dégoût.
    — Bien sûr qu'il m'a abandonnée, mais ce n'est pas cela que je lui reproche. J'avais toujours su qu'il le ferait : il ne pouvait pas tout quitter, sa famille, ses biens, son titre, pour vivre avec moi. Et s'il n'était pas parti, c'est sans doute moi qui l'aurais chassé quand j'aurais été lasse de lui : je ne suis pas de celles qui aiment éternellement.
    Prostituée, songea Philippe, Jézabel, Égyptienne… La raison, toutefois, lui commanda de tenir sa langue.
    — Sais-tu qui il était, ce grand seigneur ? Tu as dû entendre parler de lui. Il s'appelait Hugues. On le surnommait Capet. Eh oui, petit prince, c'était ton ancêtre. (Elle eut pour la première fois un regard presque attendri.) Tu comprends, maintenant, pourquoi il lui aurait été impossible de me prendre pour femme, même si je l'avais voulu ? Il n'était que duc, alors, mais il avait de grands projets. Il me les avait confiés : à moi seule, il osait tout dire, car il me savait indifférente aux luttes humaines pour le pouvoir. Dans les veines de son épouse Adélaïde coulait un peu du sang de ce Charlemagne que vous révérez tant. Un roi en puissance, qui ambitionnait de fonder une dynastie, ne pouvait répudier pareille clause de légitimité. En outre, il paraît qu'elle était fine diplomate et qu'elle le secondait habilement. Je ne crois pas qu'il l'ait aimée, mais il la respectait et il avait besoin d'elle. Pour moi, celle-là ou une autre, c'était tout un : elle pouvait bien garder le trône.
    — Tu mens ! ne put s'empêcher d'affirmer Philippe. Tu voulais être reine, c'est pour cela que…
    — Ne dis pas de bêtises, le coupa Lysamour avec plus de commisération que de colère. Qu'en
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