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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août
Autoren: Michel Pagel
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PROLOGUE
    « […] l'illustre Philippe, selon le témoignage d'un grand nombre
de personnes dont nous tenons ce fait, obtint de son père la
permission de chasser dans le bois, avec les veneurs du roi. À peine y
était-il entré qu'un sanglier se présenta. »
    Rigord, Gesta Philippi Augusti (1)
    C'était dans la forêt de Cuise, près de Compiègne, quelques jours avant l'Assomption, en l'avant-dernière année du règne de Louis VII, par la grâce de Dieu roi des Français.
    Philippe, qu'on appelait aussi Dieudonné ou le Maupeigné, s'était égaré. Il avait quatorze ans.
     
    Philippe ne le savait pas encore, mais la forêt était magique. Ou plutôt non : la forêt était la nature, et comme telle, elle se montrait docile à qui savait lui parler, elle refermait ses pièges sur qui les ignorait.
    Lui croyait la connaître – et de fait la connaissait un peu : n'y avait-il pas maintes fois chassé avec son père ou, depuis que ce dernier n'était plus guère ingambe, avec ses oncles ? Vaste et épaisse forêt de Cuise, aux hêtres gigantesques et aux halliers enchevêtrés, qui s'assombrissait même en plein midi dès qu'on s'écartait des sentiers. Il n'en avait jamais eu peur. Il ne s'y était jamais non plus trouvé à la tombée du jour, seul, perdu, et le corps douloureux d'une chute de cheval.
    Là encore, cependant, il n'éprouva d'abord aucune crainte. À peine remis sur ses pieds, il se lança à la poursuite de l'animal emballé, déjà trop loin pour être rattrapé. Obstiné, il courut un long moment dans le sous-bois, ralenti par branches basses et épineux, avant d'admettre la vanité de ses efforts. Lorsqu'il s'arrêta enfin, à bout de souffle, le visage griffé, les vêtements lacérés, il sentit monter à ses joues une chaleur dont sa course n'était pas seule responsable. Il tapa du pied, frappa un large tronc d'arbre de son poing ganté.
    De la colère, oui, il en ressentit, au point qu'il dut refouler ses larmes. Unique fils de son père, venu tard après plusieurs filles, il avait l'habitude d'obtenir ce qu'il désirait et ne supportait pas qu'une autre volonté, fût-ce celle de la vie, s'opposât à la sienne. Cherchant un responsable, il commença par maudire le cheval qui s'était affolé, puis le sanglier qui, surgissant entre deux fourrés devant ses sabots, avait fait se cabrer la monture. Lui-même, enfin, qui n'avait pas su tenir en selle. La prise dont il s'enorgueillissait déjà était manquée, et il allait devenir la risée de la cour. On n'oserait rien dire ni même laisser paraître devant lui mais les langues iraient bon train dans son dos. Et Renaud, son ami, ce qu'il avait de plus proche d'un frère, ne se gênerait pas pour se gausser ouvertement – tout comme lui, les rôles inversés, se fût gaussé.
    S'il était emporté, toutefois, Philippe n'était pas stupide : il demeura bien vite l'unique objet de sa fureur ; rien ne fût arrivé s'il n'avait choisi le cheval le plus fougueux des écuries et s'il ne l'avait poussé encore et encore, distançant les veneurs, pour se réserver le sanglier. Lequel n'avait fait que défendre sa vie en animal traqué.
    La raison, bientôt, triompha de la colère. À la fraîcheur du sous-bois, aux parfums humides qui montaient de la terre, au vert assombri des feuilles, on devinait que Vêpres étaient déjà sonnées ; bientôt, la nuit tomberait. Philippe n'avait plus qu'à mettre de côté son orgueil et à faire bonne figure : s'il riait de sa mésaventure, il prêterait moins le flanc aux railleries.
    Restait à rejoindre la chasse – à attendre qu'elle le rejoignît, plutôt, puisqu'il était à pied.
    Après le parcours erratique suivi toute la journée derrière le sanglier le plus retors qu'il eût jamais forcé, il devait s'avouer incapable de s'orienter. Refoulant une nouvelle irritation, il cessa de faire crisser l'humus sous ses heuses et tendit l'oreille. En dehors de petits froufroutements au sein des fourrés, de chants d'oiseaux et du bruissement des feuilles dans l'air du soir, aucun son ne lui parvint. Ni cri, ni aboiement, ni claquement de sabots, ni appel de trompe. Trop pris par le jeu de la poursuite, durant laquelle il n'avait pas jeté un regard en arrière, il avait dû s'écarter plus qu'il ne le croyait de ses compagnons.
    De dépit, il serra les poings. Voilà qu'à présent, il allait être contraint d'appeler. D'appeler à l'aide, ne manquerait-on pas d'ajouter.
    Conscient de n'avoir
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