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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août
Autoren: Michel Pagel
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avais-je à faire d'être reine, peux-tu me le dire ? Je suis une fille de l'eau. Dans vos villes, j'étouffe. Et puis il y a autre chose… La magie – ou la nature, comme tu préfères – est une dame capricieuse ; ceux d'entre nous qui choisissent de vivre parmi les humains doivent payer pour cela un prix exorbitant : grandir et vieillir au même rythme que leurs frères d'adoption. Si j'avais suivi Hugues, je ne serais plus que poussière depuis bien longtemps. Il y en a, parmi nous, pour considérer que ce prix n'est pas trop élevé. Ils croient que nous sommes condamnés, que la race humaine et elle seule doit hériter de la Terre. Qu'afin de survivre, nous devons nous fondre en elle, mêler notre sang au sien. Balivernes, à mon sens, mais ils sont moins rares qu'on pourrait le penser. Je ne serais pas surprise qu'il y en ait jusque dans ton entourage, dissimulés sous un masque d'humanité. (Elle poussa un bref soupir.) Quoi qu'il en soit, je n'étais pas prête à échanger des siècles de plaisir contre quelques années de pouvoir. Je sais : pour certains, le pouvoir est plaisir. Hugues était de ceux-là. Tu en es peut-être aussi. Moi, non.
    La main de Lysamour, toujours caressante, avait quitté la poitrine du garçon pour son ventre, contournant les cordages vivants. Philippe savait fort bien où elle voulait en venir. Il redoutait l'instant où les doigts abhorrés se refermeraient à nouveau sur la portion la plus intime de son individu. S'il ne réagissait pas, comme il sentait que ce serait le cas, le monstre serait bien capable de la lui arracher. Et si par extraordinaire il réagissait, ce serait sans doute pire.
    — Je ne comprends pas, avoua-t-il, espérant détourner l'attention de sa compagne. Si tu ne l'aimais pas d'amour et si tu ne voulais pas être sa reine, qu'as-tu à lui reprocher ?
    — Ne t'inquiète pas : tu ne vas pas tarder à le savoir. Mon histoire n'est pas terminée, vois-tu. Je t'ai dit que j'avais donné un fils à Hugues. À peu près à la même époque, Adélaïde en a fait autant, mais son enfant, qu'ils ont baptisé Robert, n'était pas aussi robuste que le mien : il a rendu le dernier soupir quelques heures après avoir poussé son premier vagissement. Si sa mère ou sa nourrice s'en étaient aperçues, rien ne serait arrivé, bien sûr ; il a fallu que ce soit son père. Hugues était un homme pratique, tu peux m'en croire. Il lui fallait un héritier. Son épouse ne lui porterait peut-être jamais que de pareils avortons – et tu sais déjà pourquoi il ne pouvait en prendre une autre. Il ne se trompait pas de beaucoup, du reste, puisqu'ensuite, elle ne lui a donné que des filles. Et il y avait plus : le duc lui-même pouvait mourir au combat, voire être assassiné. Qu'a-t-il donc imaginé, le cher homme ? Il n'a pas hésité un instant. En pleine nuit, il a fait disparaître le petit cadavre et galopé jusqu'ici, accompagné d'une bande de soudards qu'il couvrait assez d'or et d'honneurs pour ne pas redouter leur indiscrétion. (Lysamour s'enflammait à mesure qu'elle évoquait ce souvenir ; sur le ventre de Philippe, sa main s'était faite brûlante.) Tu commences à saisir, n'est-ce pas ? Je dois à la vérité de dire qu'il m'a présenté le marché honnêtement : ou bien je lui remettais mon fils, mon beau petit garçon à qui je n'avais même pas encore donné de nom, parce que je croyais avoir tout le temps, ou bien il le prenait de force. Que crois-tu que j'aie répondu ? Une mère est une mère, de quelque race qu'elle soit. Je me serais battue, j'aurais tué, même, pour conserver mon enfant. Je n'en ai pas eu le temps. Regarde !
    Elle se leva d'un bond et tourna le dos à Philippe, lui révélant une large cicatrice, au bas de son dos.
    — Un des soudards m'a percée de son épée par derrière. Sous la douleur, je me suis évanouie, ce qui m'a sauvée : ils m'ont crue morte. Quand j'ai repris connaissance, je ne valais guère mieux, d'ailleurs, mais je me suis soignée. C'est un de nos pouvoirs, à nous autres : guérir les blessures et les maladies, tout ce qui attente à l'intégrité du corps. Je me suis soignée, oui, seulement j'étais seule. Mon fils avait disparu et je ne devais plus jamais le revoir. (Elle se retourna vers le garçon, une moue méprisante aux lèvres.) Hugues l'a déposé dans le berceau, à la place de celui qui était mort, et nul n'a remarqué la substitution, pas même Adélaïde. Qu'est-ce qui
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