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Le rire de la baleine

Le rire de la baleine

Titel: Le rire de la baleine
Autoren: Taoufik Ben Brik
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méritait. Les lycéens, ces enfants de la balle, dansaient la danse du scalp et chantaient : « 
Ya Bourguiba ya fhal hiz ‘alina Ben Ali el bghal »
(Ya Bourguiba, le héros, débarrasse-nous de Ben Ali, le bourricot).
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Mahmoud Messadi,
Le Barrage
, Arcantère, 1994.  ↵

2
    Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
    Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
    Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
    Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits…
    Charles Baudelaire
    17 mars 2000. J’ai cru que ce jour se contenterait de prolonger les autres jours. Un jour collé à celui qui le précède et à celui qui le suit. Un jour invalide qui ne compterait pas et serait pareil à ces restes de nourriture que l’on rajoute à la sauce de ces ragoûts bien de chez nous, dans lesquels un morceau de mérou côtoie une aile de poulet et une tranche grise de bœuf. Un jour qui rappelle ces bouts de tissu dont on ne sait que faire et qui, cousus les uns aux autres, finissent en paillasson arlequin. C’est un trou dans mon calendrier. C’est peu de dire que je ne me souviens pas de l’avoir vu se lever. Il était dix-neuf heures quand je suis sorti de chez moi, trimballant dans ma caboche un nuage de sommeil.
    La veille, j’avais joué jusqu’au petit matin au
noufî
, le baccara tunisien, dans la maison d’un chanteur sans voix. J’avais perdu, cette nuit-là, le peu d’argent que j’avais gagné en vendant sous le manteau de la littérature clandestine. À ce jeu-là, celui qui gagne, c’est celui qui a le plus de pognon. Mes partenaires revenaient d’une tournée dans les pays du Golfe. Je ne faisais pas le poids.
    Plus je perdais et plus je devenais odieux. Je cherchais querelle à mes compagnons de jeu. J’avais particulièrement pris en grippe l’un d’entre eux, un gringalet portant une chemise noire en soie à la manière des milliardaires saoudiens, dont il imitait jusqu’à l’accent. Il était accompagné de deux femmes. La seule dont je me souvienne, une Cléopâtre aux seins hollandais, avait le regard dur, les cheveux noirs, une peau comme je les aime, couleur de blé. Je voulais le déstabiliser en le délestant de cette femme.
    Je n’ai pas cessé de lui faire des avances, de lui demander de m’embrasser, de la toucher. J’en faisais trop. « Mais que fais-tu avec ce nabot, ce quart d’homme ? » Quand elle ne m’ignorait pas, elle proférait d’énormes injures : « Laisse tomber, tu n’es pas un homme, tu ressembles à ta sœur, tu es imberbe. » Je lui proposai la passe à cinq dinars. Elle me répondit qu’un seul baiser de ses lèvres valait plus que mes cinq misérables pièces.
    J’avais provoqué cet homme. Je ne m’attendais pas à sa réaction. Je croyais qu’il était de ceux qui encaissent sans broncher. Je m’étais trompé. J’avais oublié que l’on ne peut impunément humilier même le plus couard des hommes. Il s’est saisi d’une bouteille de whisky à moitié vide et m’a asséné un coup sur la tête. Je n’ai jamais su comment ce freluquet avait réussi à avoir le dessus. Il a bien dû m’envoyer dix fois à terre.
    Mes deux amis, des gens de mon village qui ont fait fortune en Suisse et en France et que j’ai toujours soupçonnés d’avoir braqué des banques, attendaient sans intervenir que je prenne ma revanche. Je n’y arrivais pas. J’avais été le roi des enfoirés avec cette copie de Saoudien. Et devant qui ? Le témoin le plus gênant : la femme. Je ne sais plus comment je me suis retrouvé assis sur le trottoir, mais ce dont je me souviens c’est que subitement je me suis vu dans la même situation que
Le Voleur de bicyclette
quand il se fait attraper par ses poursuivants sous le regard terrifié de son fils. Du coup, j’ai commencé à chialer : « Je ne veux pas que mon fils Ali me voit comme ça… » Ce qui était totalement imbécile. Il n’y avait aucune raison que mon fils soit là.
    Ma tête pissait du sang. Je vomissais mon cœur comme un cochon… Je voulais revenir sur les lieux – il faut dire sans grande conviction. Mes amis agacés m’ont alors entraîné dans une pharmacie ouverte la nuit sur l’avenue Bourguiba où un aide-soignant m’a fait six points de suture. Puis ils m’ont jeté dans leur Range Rover, m’ont roulé un joint, une manière de me dire : « Fume et ferme-la. » À sept heures du matin, ils m’ont abandonné à l’angle de la rue 7134, ma
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