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Le rire de la baleine

Le rire de la baleine

Titel: Le rire de la baleine
Autoren: Taoufik Ben Brik
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espace vaste avec des rideaux multicolores et une bibliothèque pleine de livres peu respectés. On monte vers les lieux familiers par un escalier étroit. Là, la porte s’ouvre sur la cuisine, la cuisine s’ouvre sur le salon, le salon sur la terrasse, la terrasse sur une chambre et la chambre sur le couloir et le couloir sur la cuisine. Des fauteuils de brocante qui une heure après les avoir essayés te donnent des gaz.
    La famille est bizarre. Un grand garçon, d’une première femme, vient d’avoir son bac et un petit garçon de cinq ans barbote dans une baignoire de canard. L’homme est journaliste au
Canard enchaîné
, il porte un pantalon orangé et des chaussettes bon marché. La femme est sans souliers. L’homme est peu bavard. La femme est muette. Il s’appelle Nicolas. Elle s’appelle Betsabé. Je l’avoue, j’ai convoité sa femme. Je le sais jaloux. Je n’ai pas été plus loin dans le regard. Elle est métisse et élancée. Lui, un mélange de De Gaulle, de Giscard d’Estaing et d’un boxeur italien dont j’ai oublié le nom. Ils m’ont servi un rôti de veau qu’ils disaient saignant. Il était cru. Je me suis rabattu sur le pain et le vin moins l’ivresse. Je suis venu en blanc princier, je suis reparti sans être raccompagné.
    Qu’est-ce que tu es allé faire là-bas ?
    Je ne sais pas, mère. J’ai rencontré des femmes, la nuit, et dépensé de l’argent. J’ai installé mon campement à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, sur l’une des rives du fleuve, près de la place d’Italie. J’étais semblable à Khaled Ibn El Walid, ce chef de guerre du temps du Prophète qui, après une razzia, posait sa tente pendant trente jours, en retrait, pour prendre et donner du plaisir. Des femmes, de toutes les couleurs, de tous les âges, le temps d’une sieste, voulaient un enfant de moi. Je ne sais pas si d’ici neuf mois, je n’aurai pas quatre-vingt-dix-neuf rejetons, tous étoilés. Je suis peut-être venu simplement pour voir le zoo libéré de Charles Bukowski, et goûter à toutes les Carol du monde.
    Carol, nue, était allongée sur une table basse, le dos à même le bois, genoux et jambes ballants. Tout son corps était fascinant, blanc comme s’il n’avait jamais vu le soleil. Ses seins, plus fermes que gros, pointaient vers le ciel, et ces tétons n’étaient pas foncés, comme chez les autres femmes, mais ils brillaient, roses et rouges, comme le feu, et même rose vif, très néon. Bon Dieu, la fille aux seins néons ! Ses lèvres, même couleur, s’entrouvraient sur un rêve, et de sa tête renversée cascadaient ses cheveux, ses longs cheveux roux sombre qui flottaient comme un voile, une boucle frôlant le tapis. Toute sa peau semblait huilée, une huile, une huile qui effaçait coudes, genoux et replis. Seuls pointaient les deux puissants tétons. Enfin, lové contre Carol, il y avait un interminable serpent d’une espèce que je ne connaissais pas. La langue frétillait et la tête du serpent frottait le visage de Carol, dans un lent va-et-vient. Puis bandant la nuque, le serpent se dressait et fixait le nez, les lèvres, les yeux de Carol, goulûment  1 .
    Ne m’en veux pas, je suis comme ça ! Toutes les batailles du monde ne valent pas la bouche vertigineuse d’une femme.
    Tu es obscène, mon fils.
    Je ne suis ni curé, ni imam. J’aime, mère. Quel mal y a-t-il à aimer la poésie, le vin et les femmes ? Comment dois-je me conduire ? Porter la soutane ou parler la langue des ascètes ? Je ne puis. Partagez avec moi ma passion de la nuit et je partagerai votre foi.
    À ceux qui me veulent intégriste, je réponds : je suis un dépravé antique. Mon maître El Jahiz, il y a douze siècles, disait :
    Si ces personnes avaient seulement entendu Ibn El Hâzim dire qu’il bandait, pénétrait sa femme et qu’ils escaladaient tous les deux une échelle, accrochés l’un à l’autre, ou écouté les propos d’Ibn Akhi Abu Zinad à son oncle :
    — Oncle, je mugis quand je fais l’amour.
    — Fils, une fois à l’écart fais ce qui te plaît, lui dit son oncle.
    — Oncle, est-ce que toi aussi tu mugis ?
    — Fils, si tu voyais ton oncle faire l’amour, tu te dirais qu’il ne croit pas en Dieu le suprême  2 .
    Tu as perdu ton habitat, mon fils.
    À chaque coin de rue, je demande aux passants : m’avez-vous rencontré ? J’ai perdu mon ombre. Je suis un baliseur du désert qui attend des nomades qu’ils lui indiquent un puits
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