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Le rire de la baleine

Le rire de la baleine

Titel: Le rire de la baleine
Autoren: Taoufik Ben Brik
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jusqu’au dernier moment pour en finir avec cette grève boulet.
    Pour camoufler cette défaite, le CNLT se fend d’un communiqué dont le verbe radical ajoute à mon amertume. Il décrète ce 3 mai jour de deuil et appelle toute la Tunisie à faire la grève de la faim. Tout aussi romantique, Jalel, depuis la prison du 9-Avril où il est incarcéré, me fait parvenir une lettre écrite sur un bout de papier à cigarette. « Pour le repos de l’âme de notre père, de notre sœur, suspends ta grève. Nous avons besoin de toi en bonne santé, nous avons besoin de ton effort, nous avons besoin de ton action, nous avons besoin de ta plume. Qu’adviendra-t-il de nous si tu venais à mourir, ou s’il t’arrivait malheur ? De cette prison je te supplie au nom de ce qui nous lie, au nom de la fraternité, de l’amitié, pour la fierté et la dignité. Ne te laisse pas mourir. »
    Cesser ma grève alors qu’il est à la prison civile du 9-Avril me donne des sueurs froides. Ce lieu sordide, humide, sans aération, sans eau, accueille entre 4 500 et 6 000 prisonniers alors qu’il n’est prévu que pour 1 600 personnes. La promiscuité y est inhumaine, les pensionnaires dorment à même le sol, tête-bêche, malheur à celui qui se lève pour soulager un besoin, il passera la nuit debout. Les gardiens font tout pour empêcher les prisonniers de s’évader dans le sommeil. La prolifération des rats favorise la propagation des maladies. Les prisonniers se font raser la barbe par un coiffeur qui change de lame tous les vingt détenus. Dans ces conditions, la dignité devient vite un vain mot. La première chose à faire, c’est de la laisser aux vestiaires. Ces prisons sont conçues pour détruire l’Homme qui est en toi et le transformer en chiffe molle. Cet homme qui a préféré vivre l’enfer de la clandestinité pendant huit ans, sans papiers, sans travail, se retrouve derrière les barreaux à cause de moi. Je ne le laisserai pas tomber. Tout le monde l’a compris. Personne n’ose s’immiscer. Je continuerai ma grève pour mon frère mais loin de Tunis.
    À dix-huit heures, j’annonce que je me rends à Alger. C’est mon front le plus solide. Je veux aller là où j’ai une escadrille encore enthousiaste et fraîche. Là où je suis devenu le « frère chaoui », « Ali-la-Pointe 2000 ». Là où l’on me hèle : « Ne désespérez jamais ; quand tout semble tourner contre vous et que la défaite paraît inévitable, luttez de plus belle. » C’est dans ce pays, que je sens comme il me sent, que je vais trimballer ma grève de la faim. La presse algérienne du lendemain, 4 mai, titre : « Ben Brik aujourd’hui à Alger. » Mais la destination que j’ai choisi déplaît. Personne ne veut que j’aille à Alger. On me dit que les hôpitaux y sont lamentables. On me harcèle avec les questions de sécurité, « n’importe quel GIA peut te flinguer ». On fait pression sur ma famille pour me faire changer d’avis. Un véritable corps à corps. « Même pour ton combat, Alger ne pèse pas. Va à Paris, va en Europe, là-bas il y a tout ce qui compte. » Robert Ménard m’appelle : « Ne prends aucune décision. J’arrive demain. » Tous sont pour Paris. Seul Jalel a senti que Paris serait mon Waterloo. De guerre lasse, je cède. Mon avion est détourné d’Alger vers Paris. Le 4 mai, Robert Ménard débarque avec dans son sac à dos un billet aller Tunis-Paris. Azza obtient un visa en moins d’une demi-heure. Elle prépare mes valises. À midi, une ambulance est devant chez moi. Je garderai de ces instants le visage en larmes de Nadia Hammami, fille aînée de Hamma, dans la clandestinité depuis deux ans : « N’oublie pas mon père. » Au mois de juin, elle fera à son tour une grève de la faim pour que personne n’oublie son père. Le visage de mon fils, petit homme venu m’embrasser de son propre chef avant de s’en retourner jouer avec sa toupie.
    Et cette foule qui se bouscule pour cet ultime message : « Ne pense à rien, nous sommes là. Nous nous occuperons d’Ali et de Khadija comme de la prunelle de nos yeux. L’ambulance démarre. Les femmes poussait des youyous. Les hommes esquissent des gestes d’adieu. À l’aéroport, la police continue de me filmer. Alors que je monte la passerelle, un agent de police s’approche tout près : « J’espère que tu reviendras dans un cercueil. » « Ne crains rien, je reviendrai et je pisserai sur ta
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